Peu Kraydible
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Si le sous-genre du film de gangsters s’auréole d’une richesse considérable, celui-ci tendrait-il à s’essouffler ? Sans céder aux sirènes de l’hypothèse hasardeuse, disons en tout cas que l’iconique schéma du « Rise & Fall » continue de se décliner à l’envie, avec ici une seconde adaptation des pérégrinations criminelles de la fratrie Kray. Mais dans l’ombre de bien des ténors du récit mafieux, Brian Helgeland souffre de l’inévitable comparaison, et bien plus encore : car s’il n’a pas le souffle classieux ni l’ironie dramatique de ses aînés, Legend pâtit surtout d’une originalité maigrelette.
Pourtant, ce serait un tort que de le reléguer d’emblée parmi les « aussitôt vus, aussitôt oubliés », la pérennité de Legend tenant d’une performance duale proprement « hardie » : car oui, Tom Hardy crève sans coup férir l’écran qu’il occupe avec tant d’aisance, non content de porter sur ses solides épaules un projet pourtant (et comme énoncé) peu remarquable. Il convient alors de ne pas minimiser sa prestation, celle-ci confinant à l’excellence et agissant tel le miroir d’un interprète aux deux visages : un vernis élégant à la sauce britannique (Reginald donc) et une seconde facette imprévisible, presque sauvage, qui fait écho à quelques uns de ses plus fameux rôles (Ronald ici).
Legend doit également beaucoup au personnage de Frances Shea, parfaitement campée par une Emily Browning étourdissante de délicatesse : car dans ce microcosme à dominance résolument masculine, elle constitue un véritable contrepoids à des instances et pouvoirs des plus conventionnels, le film étant sans surprise victime de son sujet maintes et maintes fois décortiqué par le passé. Aussi, quand bien même nous pourrions la réduire à un ressort majeur de la chute des Kray, elle met surtout en exergue toute l’ambivalence et l’hypocrisie d’un milieu se mordant la queue... et que l’on devine donc destiné à s’auto-saborder.
Pour le reste, convenons que Brian Helgeland n’est pas un manche, son film s’arrogeant de solides bases formelles, quoique sans panache : finalement, son meilleur tour demeure sa pièce maîtresse bicéphale, l’illusion étant à juste titre des plus parfaites. Plus subtilement, la narration de Legend s’émancipe aussi de son apparente simplicité tandis que Ronald prête à Frances le don de vision du futur, chose en apparence anodine car attenante sa folie : pourtant, ses mots prennent un tout autre sens à mesure que le devenir de notre conteuse ne se dessine (et que deux billets d’avion ne confinent à l’ironie funeste). Qu’il s’agisse d’une simple lubie du scénario ou d’un sous-texte plus fin, voilà qui mérite bien sa petite mention.
Par-delà son classicisme ambiant, il est par ailleurs regrettable que le long-métrage ne succombe à deux travers des plus communs : primo le déroulé aux multiples raccourcis survolés venant amoindrir l’apport de figures secondaires (Nipper tient du faux-bouffon) et de son contexte historico-politique (les scandales sont évacués en un tour de main), secundo le portrait en apparence contradictoire de Reginald. Chose lorgnant du côté du paradoxe dans la mesure où Ronald, pourtant tributaire de sa schizophrénie destructrice, apparaît contre toute attente comme l’élément le plus « fiable » du tandem : car en troquant son costume de mari, certes imparfait, mais aimant et soucieux de Frances pour celui d’un connard versatile comme archétypale, son frère nous enjoint à la circonspection.
Enfin, quid du titre « Legend » ? Le film honore-t-il cette promesse induite ? Difficile d’en être convaincu, le récit agencé par Brian Helgeland mettant davantage l’emphase sur les bisbilles des frangins (la « loyauté » de Reginald envers Ronald - et sa toute dernière confession à son attention - est un marqueur très fort) que de véritables coups d’éclats... sans aller jusqu’à parler de tromperie sur la marchandise, disons que les faits dénotent.
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Créée
le 16 févr. 2020
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