Généralement peu friand des oeuvres qui ont pour thème central la religion, je dois dire que j'ai abordé le film avec un petit soupçon de scepticisme quand j'ai compris où il voulait aller. Toute sa première partie est en effet une joute verbale entre deux camps opposés, dont la métaphore se fait cinglants, dès lors qu'il s'agit de débattre autour du christianisme et de ce qu'il signifie pour ses pratiquants. Mais si la crainte de se voir servir une énième réflexion caricaturée pouvait être légitime, elle fut balayée assez rapidement par toute la justesse dont fait preuve Melville, que ce soit à travers la beauté sobre de sa mise en scène ou l'incroyable retenue dont fait preuve son propos pourtant propice à la polémique.


C'est à ce niveau que Léon Morin prêtre est impressionnant. A aucun moment le cinéaste ne prend vraiment parti pour l'un des camps, pour ou contre le christianisme. Il se contente de mettre en scène des débats passionnés où chaque interlocuteur a le temps de proposer son point de vue. On est forcément touché par ce déluge d'idées auxquelles on a tous des réponses personnelles. Mais limiter ce film à une approche intelligente de la religion serait réducteur. Car cette thématique est en fait le simple prétexte à la mise en place d'une histoire d'amour ambiguë dont on ne parviendra jamais à saisir tous les enjeux. On est alors totalement pris de court lorsque le générique grave sur l'écran le mot fin, achevant par la même un quelconque espoir de se voir offrir des explications plus concrètes.


Si cette envie d'y voir plus clair nous ronge, c'est parce que Melville instaure des atmosphères si palpables qu'on y croit vraiment. Cette relation improbable entre une communiste un peu rebelle farouchement opposée à la religion et un prêtre à l'esprit sans frontières finit par nous sembler naturelle, presque banale. Ce sentiment est renforcé par l'interprétation magistrale des deux protagonistes. Belmondo est d'un naturel enthousiasmant et parvient à retranscrire à la perfection le déterminisme de son personnage tout en lui insufflant le soupçon nécessaire d'ambivalence pour qu'on se pose des questions. Emmanuele Riva est, quant à elle, sans cesse sur le fil du rasoir, on ressent jusque dans nos tripes les sentiments qui la tiraillent, on vit les évènements en même temps que Melville nous les fait partager par cette voix off dont elle se fait l'écho.


Enfin, si l'impact de Leon Morin Prêtre est si important, c'est aussi parce que son réalisateur sait contenir sa mise en scène pour la faire accompagner à la perfection le sujet si sensible qu'elle illustre. Hormis une photographie magnifique, avec laquelle Melville use des clairs obscurs à la perfection pour donner naissance à des atmosphères aussi bien oppressantes que porteuses de joie, le film est d'une sobriété qui force le respect sans toutefois jamais manquer de soin. La caméra se contente d'accompagner avec maîtrise les personnages, son rôle est simplement de nous donner l'accès à une tranche de vie forte en symboliques.


Difficile de sortir du film une fois celui-ci terminé. On a toujours en tête les deux voix omniprésentes qui le bercent, les visages de deux acteurs terriblement touchants chacun à leur manière. Léon Morin Prêtre impressionne par sa richesse de fond et l'histoire d'amour qu'il dépeint, entre quelques illustrations jamais caricaturales de la vie d'une petite ville de province pendant l'occupation. Le dernier plan résume à lui seul la beauté du film. Peu de lumière, des pas trébuchants, deux visages fermés dont l'apparente tristesse n'est que le reflet d'une fin salvatrice à une relation sans issue.

oso
8
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le 3 avr. 2014

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oso

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