Le bon, la brute, le truand, le traitre, le fourbe,...

Dans le no-man-land neigeux du Wyoming, le chasseur de prime John Ruth se dirige vers Red Rock avec une farouche prisonnière. Au long de sa route, il fait la rencontre d’autres salopards peu fréquentables jusqu’à un arrêt forcé par le blizzard dans une auberge rurale. La tranquillité du lieu laissera vite place aux soupçons de trahisons et de manigances des fortes têtes déjà sur place.


Totem du cinéma indépendant américain, Quentin Tarantino fait partie de ces rares cinéastes dignes successeurs des éminences du Nouvel Hollywood. Néanmoins, son style allumé teinté d’hémoglobine l’a enfermé dans la case du créateur cool irrigué par son insondable cinéphilie et son amour de la série B. A force de prendre de la bouteille, ce constat se révèle de plus en plus fallacieux car QT n’incarne plus seulement ses inspirations mais se penche sur des problématiques plus complexes sur fond de Seconde Guerre Mondiale (Inglourious Basterds) ou des fondements de la civilisation américaine (Django). Jamais Tarantino n’a donné autant de seconds sens à ses films que dans Les 8 Salopards dont on oublie presque le genre qu’il est censé représenter, le western.


Séparée en chapitres, la trame scénaristique se penche plus que jamais sur les personnages. Ce sont eux qui font le film et instaurent une tension ambiante dans l’espace claustro-phobique de l’auberge qui les accueillent en plein milieu du blizzard. Les références à The Thing de John Carpenter sont tout à fait assumées par le réalisateur qui en profite par la même pour sortir Kevin Russel du placard. Les 8 Salopards est un huis-clos, miroir des antagonismes aux origines des États-Unis après la fratricide guerre de Sécession. Les visions d’une nation idéalisée et unie sont balayées à travers un flashback salvateur, balancé au bon moment lorsque les montagnes de dialogues se terminent comme à chaque fois chez Tarantino dans un bain de sang. Les héros n’en sont pas vraiment, les mythes sont anéantis par les instincts primaires de l’intérêt personnel quitte à pactiser avec le diable. La dernière image illustre cela de manière hilarante et cynique, à des années lumières du bon conformisme Hollywoodien en retournant la puissance des symboles.


Il est surprenant de voir que Les 8 Salopards est peut être le film le plus original de QT alors même qu’il rappelle clairement Reservoir Dogs dans la recherche de la véritable identité de ses protagonistes. Pareil pour ce casting formé d’acteurs emblématiques de sa filmographie : Tim Roth bien sûr, mais aussi Michael Madsen et l’immense Samuel L. Jackson. Chacun d’eux sont des bêtes de charisme dans la peau de personnages marquants grâce à un travail magnifique sur les costumes et l’écriture. Oui, il y a beaucoup de dialogues mais l’affrontement de ces égos démesurés donne lieu à un enchainement de répliques savoureuses au potentiel cultes.


Quentin Tarantino aura connu la gloire dès 1993 avec Pulp Fiction et la maturité en 2016 avec Les 8 Salopards. Ce film n’est rien d’autre que le meilleur du réalisateur qui transcende ses codes pour aborder des thématiques nouvelles sans pour autant renier son style inégalable. Le minimalisme du cadre de son histoire (une calèche puis l’auberge) est inversement proportionnel à la densité de ses personnages capables d’utiliser l’espace et le temps comme personne. Un huis-clos qui n’est pas sans rappeler The Thing de là à considérer Les 8 Salopards plus comme un film d’horreur, de suspens qu’un western spaghetti. La musique lancinante, presque effrayante du génial Ennio Morricone affirme que le cinéma de Quentin Tarantino atteint véritablement des sommets.

ZéroZéroCed
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le 14 sept. 2016

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