Les balles perdues de Django se sont logées chez Minnie

Quand je débute un Tarantino, dès la première seconde, mon bien-être éclôt. Dès la première couleur, dès le premier caractère imposé aux images du générique, dès la première note de musique, dès le premier bruit ambiant, dès le premier regard, dès le premier geste, dès la première tirade, mon corps m'indique que je suis face à film de Tarantino, mon visage s'illumine. M'envoûte alors une sensation de bien-être et de confort que nul autre réalisateur n'est capable de m'apporter. Tarantino a cette aptitude à noyer une scène de confiance. Manipulateur et pervers, chaque séquence est soumise à une évaluation de confort, suscitée par l'envie du spectateur à savourer l'instant filmé. Une discussion loyale autour d'un verre, d'une cigarette, autour d'une bouffe, au milieu des montagnes, dans les transports, dans un lit… Tarantino manipule le spectateur, il lui donne l'impression de vivre le film et lui donne l'envie de vivre un instant avec ces gens charismatiques, il l'amadoue en lui faisant croire qu'il est installé autour d'un feu dans l'âtre avec une peau de bête sur le dos et qu'une grosse bouillie de viande l'attend.


J'ignore si je suis le le seul à ressentir ce bien-être paradoxal face aux réalisations de la plus grosse éponge d'Hollywood. Mais ce qui est certain c'est que je n'avais ressenti ça que durant quelques minutes éparpillées dans Django Unchained. Ce film avait tout pour être immense mais était dépourvu de l'âme de Tarantino, un excellent Western à la réalisation impeccable mais à des kilomètres du charisme ambiant habituel. Néanmoins ce film ne m'a pas donné envie de mettre un terme au futur de Quentin, d'autant plus que la réalisation de Django ne peut qu'être appréciée dans un cinéma, c'était donc avec la même impatience que pour l'ensemble de son oeuvre que j'ai mis les pieds dans sa nouvelle bouillie.


Bien conscient que je replongeais dans le Western qui lui tient à coeur et non pas revivre le poing dans la gueule rectiligne de Death Proof, la symphonie de la haine de Kill Bill ou encore la tension palpable de Reservoir Dogs et la légèreté de Pulp Fiction, je me suis confortablement installé, prêt à vivre une longue aventure au moins digne de Django, avec un peu d'espoir quand même…


Reservoir Dogs, l'argent détruit les hommes.
Pulp Fiction, la vie c'est l'Underground londonien.
Jackie Brown, l'égalité des sexes.
Kill Bill, vivre ou mourir ?
Death Proof, vivre.
Inglorious Basterds, rien à battre de l'histoire.
Django Unchained, God bless America.


Tarantino disait vouloir arrêter le cinéma après son huitième film. Espérant évidemment le contraire, celui-ci les regroupe pourtant tous et comble les vides laissés par le précédent. Hateful Eight surpasse tout ce qu'il avait pu réaliser jusqu'ici en juxtaposant l'ensemble des codes distinguant son oeuvre, sans pour autant devenir grossier ou dépourvu de subtilité. Les presque 3 heures de films sont amplement nécessaires pour préparer la recette: acheter les ingrédients, les exposer, les combiner, manger, expulser. Cette durée permet au film ne pas tomber dans un fourre-tout. Le scénario offre la possibilité d'une réalisation développant les qualités de Tarantino. Il offre la dérision, le bien-être développé ci-dessus, l'orchestration de la violence, l'absolue qualité photographique de Django, les péripéties et une histoire réellement ficelée ayant des accents de thriller. Sans oublier la notion de justice récurrente dans ses films et un bref rappel de ce qu'est aussi l'Amérique ainsi qu'une chiée d'hommage habituelle que les plus gros "Son of a Gun" appelleront "plagiat". La bande-son (Morricone) est comme à son habitude parfaitement calibrée. Le casting, encore une fois démesuré, donne une nouvelle fois la réplique à Madsen et aux yeux bleus de Kurt Russel, ainsi qu'à Tim Roth la chance d'enfiler à nouveau le rôle qui lui correspond le mieux: l'homme aux bonnes manières; le groom de l'époque a bien mûrit et n'a rien perdu de sa diction théâtrale. Mais c'est aussi l'occasion pour Samuel L. Jackson de tenir un personnage digne de son nom ne laissant pas une sensation de trop peu comme dans Django. Inutile de préciser qu'il fut vraisemblablement ravi de travailler avec Walton Goggins précédemment, pour lui avoir attribué un rôle si imposant, on a quand même envie qu'elle ferme sa gueule de temps à autre, cette tête de con… Pour faire court, tous les personnages sont atypiques et habillement tracés, une force encore chez Tarantino qui n'expose en réalité que des caricatures au juste milieu entre la crédibilité et l'invraisemblance. Difficile de ne pas mentionner Jennifer J. Leigh dont le sourire qui, de sa mâchoire en charpie en extirpe le sang de sa bouche, reste pétillant.


C'est dépourvu de burnes que je suis sorti de la salle, Quentin Tarantino les avait volées pour les éclater dans Hateful Eight et nous servir, ce qui pour moi est certainement l'aboutissement de sa carrière à ce stade. Alors Quentin, tâche de considérer ce chapitre comme étant la moitié de ton oeuvre et d'en lâcher 8 autres du même niveau, d'avance, merci!

XavierLe
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le 16 janv. 2016

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XavierLe

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