Les Amoureux par ChatonMarmot

Je n'ai pas encore regardé ce film, mais je suis tombé sur un passage des écrits de Zetterling. La note 5 est donc par défaut.

On dispose rarement des intentions explicites d'une artiste. Je ne connais hélas pas la date à laquelle elles ont été formulées, même si on peut les attribuer à l'oeuvre finie - les vues de Zetterling ont pu évoluer par la suite.

La Revue du Cinéma 236 février 1970

"Quelques extraits de ses notes concernant son premier long métrage Les Amoureux donneront une idée de la fermeté de son style et de ses intentions :

"Un film sur les femmes, traitant de leur attitude à l'égard des problèmes fondamentaux de la vie : naissance et mariage, relations sexuelles, sentiments, indépendance. Etudier les différences entre leur façon de voir et celle des hommes...L'action est basée sur une version soigneusement "épluchée" de sept volumes du roman cyclique d'Agnès von Krusentjerna. Ce roman est inadaptable tel quel. Pour que la vaste matière qu'il contient puisse convenir à un film, il lui faut prendre une forme plus concentrée, mais sans pour autant sacrifier ce que l'auteur (semblable en cela à toutes les femmes, celles d'hier comme celles d'aujourd'hui) désire dire... Les thèmes suivants reviennent constamment, tout au long de l'action :

&. Nous vivons encore actuellement dans un monde foncièrement masculin. Bien que les femmes soient émancipées, les décisions (politiques, religieuses et même domestiques) sont toujours prises par les hommes, généralement sur la base d'une profonde incompréhension réciproque des problèmes particuliers à chaque sexe. Le film doit donc être ponctué de séquences où n'interviennent que des hommes, séquences qui mettent en relief les décisions non pesées que ceux-ci prennent à l'égard des trois personnages féminins principaux.

2. Une femme - à la différence d'un homme, qui peut se créer lui-même son propre climat d'indépendance - dépend au plus au point pour son épanouissement du milieu dans lequel elle évolue. Elle est, sur le plan émotionnel, modelée par ce milieu et ne peut jamais s'en détacher entièrement, aussi ardemment qu'elle le souhaite.

3. Le comportement de la femme suit une logique instinctive, comme le prouve particulièrement son attitude à l'égard de sa fonction première : l'enfantement. Tout dans sa vie, est asservi à cette fonction ou à ce qui lui en tient lieu.

4. La tragédie des femmes est leur solitude naturelle, que seul peut rompre vraiment un enfant. Les hommes ne suffisent pas à ce point de vue. Mais peut-être peut-on envisager également une autre solution?

5. Un monde de femmes (comme le prône Agnès von Krusentjerna) serait "invivable", privé comme il le serait du grossier élément mâle.

Ce sont là des constations qui vont de soi, peut-être, mais qui ne sont pas souvent mises en relief par le truchement de situations dans lesquelles les femmes, et non les hommes, jouent un rôle prépondérant sur le plan émotionnel ou dramatique... Le film s'attache donc à l'emprisonnement que subissent les femmes dans un monde qui ne leur appartient pas et dont elles ne parlent pas la langue. Elles sont incorporées dans une civilisation qui ne songe pas à les civiliser. Elles sont trop proches des extrêmes de douleur et de joie qui s'attachent à l'acte sexuel et à l'enfantement pour pouvoir envisager la vie à la manière des hommes. Peut-être le résultat est-il que la question d'émancipation a jusqu'ici tourné au gâchis et que tout ce que l'on a réussi à faire est de rendre les femmes hystériques. Le film désire également mettre ce point en relief, en s'efforçant de faire comprendre implicitement pourquoi il en est ainsi."

Ca se dégrade fortement au fil de la lecture. On pouvait d'abord supposer qu'elle décrivait sans le dire explicitement une société en un temps et un lieu précis, et qu'elle s'efforçait surtout d'exposer l'état des faits avec neutralité. Mais l'extrait se conclut sur du sexisme pur et simple. On y retrouve même les fameuses vues d'Aristote sur la femme incapable d'accéder à la raison...

Il est toujours utile d'avoir accès directement aux idées d'un.e artiste, afin d'éviter de lui faire cadeau du bénéfice du doute :)