Cette chose, c'est typiquement le genre de film qui fera se retourner une belle brochette de barbus dans leurs tombes, quand bien même ils n'en seraient pas à leur premier retournement. Certes, seuls les plus naïfs ou optimistes d'entre nous auraient pu s'attendre à une once d'intérêt au niveau historique ou politique... Mais même en ayant pris le soin de ne construire aucune forme d'attente et de s'attendre, précisément, au pire, le film (je me refuserai ici de l'appeler par son titre) réussit l'exploit de décevoir, sur deux tableaux principalement : le genre, et le contenu.


Le genre, d'abord, car on aurait pu croire à un drame historique propret fleurant bon la fin du XIXe siècle. Mais d'Histoire il n'y aura point, reléguée dans une dimension secondaire, voire parallèle, avec des costumes et quelques éléments de vocabulaire pour faire joli. La reconstitution d'époque est soignée, sage, trop sans doute (la photographie est impeccable, même si on aurait aimé un peu plus de diversité au-delà des lumières sombres et des teintes bleutées), mais le problème ne vient pas tellement de ce caractère extrêmement lisse, dépourvu d'aspérité : plus qu'un drame historique, il s'agit en réalité d'un drame romantique. Et une fois qu'on a compris cela (très vite au demeurant, à force de rabâcher le mot "amour" avec insistance dans la première partie), impuissant, comme une bête aux portes d'un abattoir, le film devient aussi limpide que chiant.


Chiant du début à la fin car le contenu des échanges, seconde faiblesse notable, fait peine à voir et se contente d'aligner des dialogues d'une pauvreté infinie.
► Une citation de Bakounine on ne peut plus artificielle : –"Ce n'est que par l'audace, ennemi de toute règle, que l'État peut être vaincu." –"Tu connais tes classiques !" Point final de la conversation.
► Des revendications affreusement creuses : –"Tu n'aimes personne de toute façon." –"C'est ma façon d'être libre." Une solide affirmation de soi.
► Et bien sûr la déclaration archétypale du révolutionnaire : "Vive l'anarchie !", derniers mots avant de se suicider.
Le film donne en outre l'impression de bouffer à tous les râteliers, avec d'un côté une romance et de l'autre des cambriolages et des braquages, d'un côté la volonté de "faire vrai" avec images d'archives à l'appui en début et fin de film et de l'autre des inserts musicaux totalement hors de propos (un extrait totalement improbable lors d'une scène de baiser, et un final sur du reggae, c'est osé). Il ne reste évidemment pas beaucoup d'espace pour ne serait-ce que mentionner les bases de l'anarchie politique, confinées dans les notes de bas de pages (reléguées à la toute fin, comme chez les éditions La Fabrique) : elles se résumeront ici à faire allusion à "Bakounine", aux "Communards", et à un vague bouillon d'idéologies mal digérées. Finalement, être anarchiste en 1899, cela semble se résumer à vivre dans une colloc' vaguement libertine. Et autant Adèle Exarchopoulos pouvait crever l'écran chez Kechiche, autant ici, même à grand renfort de morve au nez, on peine à se la représenter en ambassadrice de l'anarchie au féminin.


Il y a plus de matière anarchique dans les cinq dernières minutes de l'adaptation de "Germinal" que dans tout le film d'Elie Wajeman. Mais si le résultat est d'une piètre qualité théorique, après tout, le tort revient sans doute à tous ceux qui auront eu la faiblesse d'esprit de croire que le film traiterait la thématique de l'anarchie comme un vieux barbu acariâtre l'aurait traitée en son temps.


[Avis brut #68]

Morrinson
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le 15 mars 2016

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