Le drame n’est clairement pas mon genre de prédilection. Néanmoins, je m’y plonge de temps à autres comme ce fût le cas avec ce Angels Wear White, deuxième et dernier film en date de la réalisatrice engagée Vivian Qu, sorti chez nous récemment par Spectrum Films. Le film nous présente plusieurs portraits de femmes qui cherchent à se libérer, à s’émanciper d’un système dont elles sont généralement les victimes, en partant d’un postulat lourd, celui du viol sur mineur, et tout ce qui en découle dans un système chinois corrompu, où tout tourne autour du pouvoir de l’argent. Un film qui met en colère et qui résonnait d’autant plus qu’il est sorti en plein #Metoo et tous les scandales qui l’accompagnent, bien qu’il ait été tourné avant. Ah c’est sûr qu’on ne se lance pas dans ce Angels Wear White pour se marrer un bon coup.


Quatrième collaboration entre Kim Sung-Hu, qui signe également le scenario, et Jung Woo-Sung (Steel Rain, The Good The Bad The Weird) après Beat (1997), City of the J’avais lu sur la toile une déclaration de Xin Yukun, réalisateur de Wrath of Silence (2017), qui disait que, dans ses films, il évitait de critiquer les représentants de l’Etat de peur que ses scénarios ne soient pas approuvés par la censure. Sa compatriote Vivian Qu semble s’en ficher complètement tant Angels Wear White est une condamnation d’une société qui ne s’occupe clairement pas de ses femmes et de ses enfants. C’est une œuvre douloureuse, pleine de symboles (la statue de Marylin Monroe, femme libre s’il en est, en opposition à toutes ces femmes chinoises bloquées dans leur vie de misère). La réalisatrice dresse un portrait de la Chine qui n’est pas très reluisant. Sa vision des choses est pessimiste, ce sont les innocents qui sont les victimes d’injustices. Elle nous fait comprendre que la société chinoise s’arrange toujours pour faire oublier ce qui est dérangeant et on a l’impression qu’elle cherche à nous mettre en colère contre ses institutions, avec un scénario sinistre mais qui prend aux tripes. Le point de départ, une jeune fille, Mia, qui travaille à l’accueil d’un motel, qui comprend via les caméras de surveillance que deux jeunes filles de 12 ans se font violer dans une chambre. A partir de là vont se dresser plusieurs portraits. Nous avons donc celui de Mia, qui se bat pour obtenir une carte d’identité, qui pourrait faire éclater l’affaire après avoir filmé avec son téléphone l’écran de surveillance, mais qui craint que cela ne révèle son statut de sans-papiers et lui fasse perdre le peu qu’elle possède. Nous avons également les deux fillettes victimes du viol, Wen et Xin, qui se retrouvent maltraitées et vendues par ceux qui sont censés les protéger, à savoir leurs parents, pour diverses raisons (ascension sociale à ne pas perdre, honte, …). Ou encore celui de Hao, l’avocate intègre assignée à l’affaire des deux fillettes, qui persiste à vouloir faire éclater la vérité mais qui se retrouve constamment devant un mur lorsqu’il faut un peu secouer les idéaux du système judiciaire qui préfère regarder ailleurs. C’est la seule qui cherche à faire bouger les choses là où il semble que tous ceux qui apprennent ce qui est arrivé à Wen et Xin se préoccupent davantage de limiter les dégâts et de rejeter la faute sur les autres plutôt que de veiller au bien-être des fillettes.


L’agression proprement dite n’est jamais montrée. Vivian Qu se concentre uniquement sur les conséquences de cet acte, sur son côté traumatisant, sur le processus long et fastidieux qui va en découler. L’homme qui a perpétré ce crime est presque inexistant et chaque personnage a ses raisons de ne pas dénoncer, de ne pas aider cette innocence bafouée. Leurs actions sont là pour nous rappeler que ce qui est dans l’ombre restera dans l’ombre tant que ceux qui en ont connaissance choisissent de le cacher. Le paysage social qui nous est dépeint n’en est que plus accablant, aidé par une mise en scène de Vivian Qu volontairement austère. C’est brut, sans concession aucune, avec une photographie claire comme pour rappeler l’innocence. La réalisatrice garde constamment une certaine distance avec ce qu’elle dépeint dans son film. Jamais elle ne cherche à faire pleurer. Jamais elle ne cherche à choquer via des scènes chocs (presque tout est hors champ). Elle expose un fait divers sombre et déchirant, comme il doit y en avoir tous les jours en Chine sans que cela fasse sourciller les autorités. Angels Wear White est un film courageux mais pas forcément facile d’accès dans le sens où les sujets sont traités avec un souci de réalisme social dans sa forme la plus pure et la plus dure. L’ambiance a quelque chose de suffocant, le film est très noir de par les thèmes qu’il aborde. Malgré quelques moments plus fantaisistes, on ressort malgré tout avec le moral qui en a pris un coup. Dans son genre, Angel Wears White est une réussite, une réussite en partie due à son casting absolument fabuleux. Les deux fillettes sont troublantes de justesse ; Wen Qi est excellente dans un rôle délicat où il est difficile de s’attirer la sympathie du public ; Geng Le est lui aussi très juste dans le rôle du père de Wen qui s’avère être le seul parent réellement préoccupé de trouver une certaine justice pour son enfant plutôt qu’un simple gain (quelle que soit sa forme). Je suis très curieux de savoir comment ce film a été accueilli en Chine. Enfin… s’il a pu sortir car avec la censure chinoise qui semble être toute puissante et faire ce qu’elle veut dès qu’un film critique son pays…


Angels Wear White est un drame captivant et puissant sur la destruction de l’innocence, qui évite de déraper vers le mélodrame macabre. Dur, âpre, il secoue le spectateur en le confrontant à des réalités peu reluisantes. Un film à voir !


Critique originale avec images et anecdotes : DarkSideReviews.com

cherycok
8
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le 14 sept. 2021

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cherycok

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