Cette superproduction commandée par Goebbels pour honorer et fêter le 25ème anniversaire de laUFA est, à mon sens, une petite merveille du cinéma allemand, une fantaisie baroque et pittoresque destinée à séduire petits et grands, et pour ce divertissement familial, Goebbels n’a pas lésiné sur les moyens : Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen sont avec Kolberg, réalisé deux ans plus tard, les films les plus chers jamais réalisés par la UFA. La première du film, le 3 mars 1943 à Berlin, arrive à point nommé pour faire oublier la défaite de Stalingrad et regonfler le moral en berne de la population. Le cinéma avait justement ce pouvoir de faire oublier à la population allemande les affres d'une guerre moralement usante, qui faisait inéluctablement surgir le spectre lancinant d'une défaite inévitable.

C’est le réalisateur d'origine hongroise, Josef von Baky, qui est engagé dans cette colossale production, financée à coup de millions de Reichsmarks. 6,5 millions de Reichmarks engloutis pour les besoins du tournage ! Excusez du peu...Un casting de stars, des figurants à la pelle et un luxe effarant.

Le résultat est vraiment à la hauteur des espérances : d'un point de vue technique d'abord : grâce au procédé trichrome de l'Agfacolor, le film arbore fièrement une scintillante panoplie de couleurs. Venise, drapée dans ses plus beaux atouts pour célébrer carnaval, est juste éblouissante. La ville scintille de mille feux et brille par l'exubérance de ses couleurs. Ensuite, la distribution est épatante, les costumes et les décors, somptueux. Et les trucages, qui ont coûté une véritable petite fortune, sont ce qui se faisait de mieux pour l’époque. Ils offrent des moments d’une folle inventivité, témoin la désopilante scène du duel au fleuret !

Ces invraisemblables aventures regorgent de poésie et de vie. Ce baron chevaleresque et séducteur, infatigable hâbleur, campé par un Hans Albers au faîte de son art, ne ménage pas ses efforts pour nous faire voyager à travers les époques. On a ainsi la chance de pouvoir rencontrer, au gré de ses savoureuses pérégrinations, des personnages historiques, tels que le magicien Cagliostro, (dont Ferdinand Marian offre une interprétation sidérante) la tsarine Catherine II, le sultan Abdul-Hamid, ainsi que d'autres figures, imaginaires celles-là.

Ces fabuleuses aventures s'inspirent de la vie du vrai Baron Münchhausen qui, lui, a bel et bien existé. Karl Hieronymus Münchhausen de son vrai nom. Ses exploits ont donné lieu à des récits totalement délirants et extravagants, recueillis oralement, puis par écrit, par Rudolph Erich Raspe, qui compilera cette somme d’aventures rocambolesques dans un livre truculent, point de départ d'une longue tradition ouvertement fabulatrice.

Se déclinant sous forme de conte, ces aventures sont un véritable enchantement, une invitation à la rêverie et au voyage. L'envol de la Montgolfière vers la lune, où le temps semble suspendu, est absolument sublime et me fait songer à l'univers féérique du grand Méliès, lequel a été le premier à retranscrire par la magie des images, toute la féérie de ces aventures, dans Les Hallucinations du Baron Münchhausen.(1911)

Dans le film de Josef von Baky notre intrépide baron semble défier les lois de l'apesanteur pour nous offrir un divertissement de très haut vol. L'immense Hans Albers insuffle un peu de mélancolie à ses fabuleuses escapades, comme si la folle succession de ses aventures ne servait qu'à fuir un éternel désenchantement.

Un dernier mot sur le scénario. Goebbels, sur les conseils et l’insistance de Fritz Hippler qui dirigeait alors tout le cinéma allemand, fait appel à Erich Kästner, dont les livres avaient été brûlés en Allemagne lors des autodafés de 1933. Un choix étonnant, conditionné toutefois par un strict anonymat. L'écrivain allemand, non crédité au générique, fut en effet obligé de travailler sous le pseudonyme de Berthold Burger. Dans l'édition Blu-Ray éditée chez Kino nouvellement restaurée 4K, justice lui a été enfin rendue, puisque son nom figure désormais à la fin du film.

En définitive, Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen est une œuvre féérique, irréelle, lumineuse, portée par un formidable souffle poétique. Une œuvre qui restera comme un ovni cinématographique planté dans la kyrielle de films de propagande et de guerre réalisés sous le Troisième Reich.

Kermite.

Qhermite
7
Écrit par

Créée

le 10 juin 2023

Critique lue 14 fois

1 j'aime

Qhermite

Écrit par

Critique lue 14 fois

1

D'autres avis sur Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen

Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen
Eric31
9

Critique de Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen par Eric31

Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen est un très bon conte allemand réalisé par Josef von Báky, écrit par Erich Kästner qui met en scéne les aventures fantastique d'un menteur... le Baron...

le 18 mars 2015

7 j'aime

Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen
AMCHI
8

Critique de Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen par AMCHI

On a du mal à imaginer que ce si beau film d'aventures fut tourner sous le IIIème Reich. Hans Albers incarne un sympathique Baron Münchhausen et l'on suit avec grand plaisir ses magnifiques et...

le 20 avr. 2017

6 j'aime

3

Du même critique

Le Météore de la nuit
Qhermite
6

Ébauche d'une rencontre du 3ème type

Si Jack Arnold vint au cinéma par le documentaire en travaillant pour Robert Flaherty, ses débuts en tant que metteur en scène furent nettement orientés vers les films de Science-fiction, où il...

le 31 déc. 2022

3 j'aime

The Descent
Qhermite
9

Angoisses caverneuses

Alors celui-là, mon grand regret est de ne pas l'avoir vu au cinéma, dans une vraie salle, avec en guise de B.O, les cris apeurés des spectateurs.... À l'époque je me souviens avoir loué le DVD à un...

le 1 juil. 2023

3 j'aime

1

Titanic
Qhermite
6

Propagande ratée

Le plus célèbre drame maritime a toujours enflammé les imaginations. Sous le régime nazi, pendant la guerre, le Titanic devient le symbole suprême de la décadence du capitalisme. C'est la course aux...

le 7 juin 2023

2 j'aime