Ma place est dans un musée

Ah, je me rappelle cette époque lointaine durant laquelle on devait se déplacer pour aller sélectionner un film.

C’était déjà tout une aventure en soi.

On partait le vendredi soir, un peu avant le souper, avec dans les yeux un petit éclat de lumière qui rappelait par avance celle qui surgirait de nos tubes cathodiques pour nous éblouir, nous en foutre plein les mirettes, et nous emmener vers des mondes fantastiques.

On avait aussi le cœur rempli d’espoir de tomber sur un trésor caché dans les rayons des vidéothèques, uniquement accessible à ceux qui s’en montreraient dignes, à force de recherche à travers ses rayonnages, et de douloureuses lectures sans fin lorsqu’on cherchait à déchiffrer les textes aux dos des boîtes VHS sur les présentoirs à s’en abîmer les yeux. Certaines vidéothèques étaient parfois si mal éclairées qu’elles n’avaient rien à envier aux cryptes antédiluviennes, et c’est dans ce clair-obscur, qui n’arrangeait rien pour nos pauvres yeux, que nous cherchions, inlassablement, semaines après semaines, la fortune, la gloire, ou plus généralement un film pas trop pourri !

Bon, malheureusement, ces cryptes étalent bien souvent remplies de monde au point qu’on se marchait sur les pieds, et le nombre d’exemplaires d’une cassette n’était pas illimité. Les gardiens de ce temple, dans ce que j'ai toujours assimilé à du sadisme, avaient prévus, afin de nous indiquer le nombre d’exemplaires restant à louer, des petites étiquettes qui reposaient sur les présentoirs juste en dessous du film tant convoité. Si vous preniez trop de temps à faire votre sélection, un autre chasseur de trésor pouvait ravir sous votre nez le Saint Graal: la dernière étiquette du film tant convoité. Quel plaisir c’était lorsque vous aperceviez un pauvre idiot se diriger vers le dernier exemplaire d’un film, et que vous arriviez juste avant lui pour prendre la dernière étiquette tout en le fixant avec un air satisfait. Voir le visage déconfit de votre adversaire était en soi déjà une récompense avant même de voir le film. Et même si celui-ci s’avérait décevant, il vous restait toujours cette petite victoire que vous pouviez savourer un weekend durant.

Ce genre d’affrontement aussi physique que psychologique faisait partie de la raison pour laquelle vous vous deviez parfois de faire confiance à votre instinct de chasseur de trésor et de sélectionner un film sur la seule base de sa jaquette dans l’espoir de faire une pioche faramineuse.

Je n’ai pas peur de le dire : j'étais un as comme chasseur de VHS ; et ma famille, bien inspirée, ne manquait jamais de m’emmener avec elle dans les vidéothèques afin que je leur fasse profiter de mon expertise.

Oui, c’est vrai, j’étais le meilleur, mais j’avais un adversaire de taille. Un gars qui refusait de s’avouer vaincu et qui me mettait constamment des bâtons dans les roues. René Bellosh ! Déjà, c’était un Français d’origine, alors, me faire battre par lui, ça me foutait méchamment le seum ! Mais en plus, ce type était vicelard comme c’était pas permis, arrogant à l’extrême, et il se gargarisait de ses victoires et vous les rappelait en permanence avec un petit air suffisant (sans parler de cet accent ridicule!) qui démontrait qu’il était aussi mauvais gagnant que perdant. Oui, je sais que cette description est un peu redondante puisque j’ai déjà dis qu’il était français, mais dites-vous que ça dépassait tout ce que vous pouviez vous imaginer. Ce gars était en plus une telle tête à claque qu’il aurait battu à plat de couture Manuel Vals, Eric Zemmour, et Emmanuel Macron au concours international de celui qu’on avait le plus envie de gifler à toute volée. C’est vous dire l'abominable individu que ce gosse de huit ans était.

Raiders of the lost VHS

Laissez-moi donc vous raconter l'histoire de notre plus grande confrontation.

Certaines personnes pourraient remettre en doute cette histoire. Je les arrête tout de suite ! Tout est rigoureusement vrai !

Nous sommes donc un vendredi vers 18h au milieu des années quatre-vingt.

Je pars en expédition avec ma marraine, son mari, et ma mère. J’ai emporté avec moi mon chapeau et mon fidèle fouet.

Nous nous rendions vers American BBMV.

Américan, parce que toutes les vidéothèques des années quatre-vingt devaient absolument être American quelque chose : Américan VHS, American Vidéo, American Movie, Même American Langoustine ça aurait pu fonctionner. C’est bien simple, même les ninjas était des American Ninjas dans les années quatre-vingt !

Et BBMV parce que.. je ne sais pas trop. À vrai dire, je n’ai jamais su exactement ce que voulais dire BBMV, mais ça participait du mystère et de la mystique de l’endroit.

American BBMV était un endroit assez particulier, parce qu’il était situé dans un énorme hangar dont une partie était destinée à la location de VHS, et une autre partie, à la vente de meubles divers et d’électroménagers. Je précise cela car ça aura son importance dans le récit.

Nous arrivons dans le parking de American BBMV, quand soudain, j'aperçois au loin ce satané Bellosh qui se rue vers le magasin. Je saute de la voiture encore en marche, je fais une roulade et me précipite à sa poursuite.

Bellosh, ce petit salaud, rentre en courant dans le magasin avec presque une minute d’avance sur moi. Je cours encore plus vite et je rentre en trombe dans le magasin.

Dans la précipitation, j’en ai oublié toute la fourberie de Bellosh et j'ai baissé ma garde.

Alors que je pénètre dans le magasin, je vois l’énorme globe terrestre de trois mètres de diamètres qui trônait fièrement à l’entrée se détacher de son socle et se diriger dans ma direction pendant que le rire de ce petit enfoiré résonne dans le magasin : Adieu Samy, me dit le petit connard.

Je cours comme un dératé dans les allées du magasin quelques pas devant ce globe géant qui risque de m’écraser pendant que les clients paniqués courent en tous sens. Ma vitesse de course n’est pas suffisante, et le globe me rattrape petit à petit jusqu’à être dangereusement près, mais je parviens à attraper avec mon fouet un ventilateur de plafond qui m’expédie hors de la trajectoire.

J’utilise la force du ventilateur pour accélérer mon mouvement, fait trois révolutions autour de son axe avant de me lâcher pour qu’il m’expédie vers un lit à ressort. Je rebondis dessus passant par-dessus les allées de VHS. Je m’accroche à un des présentoirs, puis descend quatre à quatre pour me précipiter vers la parie location consacrée aux films d'aventure. Je me précipite vers le film que je veux, et je sais d’instinct que c’est également le film désiré par ce diable de Bellosh : Les Aventuriers de l’arche perdue. Je vois un géant d’au moins 1m75 et d’une quinzaine d’années, à la tête déformée par l'acné, qui me fait penser à une créature de Ray Harryhausen se diriger vers la dernière étiquette. Je m’élance, glisse entre ses jambes et me saisis de l'étiquette blanche tant convoitée avant de poursuivre dans le même mouvement ma glissade. Je sors de l'allée toujours en glissade sur le ventre, mais triomphant avec mon étiquette dans la main, quand soudain, je me retrouve devant Bellosh qui me regarde avec ce sale petit sourire suffisant. Je suis près à défendre chèrement ma peau et mon trésor en rentrant dans le lard de ce petit enculé, lorsque des militaires nazis viennent au secours de ma Némésis.

Et là, j'entends certain d'entre vous, incrédules, me dire : "Des militaires nazis en pleine vidéothèque dans les années quatre-vingt, est-ce que tu ne raconterais pas des cracs Sammy ?"

Alors, j'ai oublié de préciser que c’était une période de carnaval, et que c'était peut-être les parents de Bellosh en costume et pas des vrais nazis. Mais ça prouve juste le mauvais goût de ces gens !

Bellosh arrache l’étiquette de mes mains, puis me regarde avec suffisance

— À nouveau, il n’y a rien que tu possèdes dont je ne puisse m'emparer, Samy ».

— Dommage que tes parents ne te connaissent pas comme je te connais.

— Mais ils me connaissent comme s’ils m’avaient fait !

Son rire machiavélique le plus étudié (je suis sûr qu’il l’a travaillé juste pour moi pendant des heures) résonne encore pendant qu’il s’éloigne vers le comptoir

Il part donc avec l’étiquette et je le vois sortir avec la cassette soigneusement emballée dans ces sarcophages noirs de l'époque, destinés à les protéger.

Mais il était hors de question que je laisse Bellosh voir ce film avant moi, c'est pourquoi je l'attendais avec une énorme bombe à eau au sortir du magasin.

— Laisse tomber Bellosh ou je détruis la cassette avec cette bombe à eau

Les nazis sont scandalisés, mais Bellosh les empêche d'intervenir

— Vas-y. Détruit-là. Mais je suis sûr que tu ne le feras pas , parce que tu as autant envie que moi de la regarder.

Je baissais à ce moment les armes.

C’est à ce moment que ma maman sortit du magasin après qu’elle et ma marraine aient sélectionnées trois films extrêmement ennuyeux qu'elles allaient regarder.

Mais ma maman étant super (et pas du genre à s’habiller en nazi, elle!), elle m'a demandé si ça me disait d’aller regarder le film chez René puisque ça avait l'air de me faire tellement envie.

J’y suis allé bien entendu, et ça a été super. J’ai adoré chaque seconde de cette incroyable aventure.

Enfin, je dis chaque seconde, pas vraiment.

Parce qu’au moment où l'arche d’alliance est ouverte, j'ai écouté les bons conseils d'Indy et j'ai fermé les yeux !

Évidemment Bellosh et ses parents était bien trop arrogants pour faire de même, et j'ai entendu leurs cris pendant toute la scène. À la fin, il ne restait d’eux qu’une petite flaque de graisse. Je récupérai bien entendu la cassette avec le sentiment du devoir accompli. Mais en arrivant chez moi, ma maman me l'a confisquée, et elle l’a emportée dans une sorte de remise remplie de fourbis divers, je ne sais où.

Voilà. J'adore les Aventuriers de l'arche perdue.

Je l'ai revu bien des fois par la suite.

Mais je ferme tout de même toujours les yeux au moment de l'ouverture de l'arche : on ne sait jamais.

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le 27 juin 2023

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Samu-L

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