Ultime tour de piste d'un pilote en quête d'ivresse

A l'image de ce magnifique coupé allemand au moteur revanchard qui l'introduit avec raffinement, The last run fait l'effet d'un polar rutilant qui ne manque pas de classe. Relativement boudé par la critique à sa sortie à cause de sa production compliquée (Fleischer prit la suite de Huston qui s’échappa du tournage après s'être mis sur la tronche avec C. Scott), ce Drive à l'ancienne avait pourtant dans sa besace une sacrée paire d'atouts gagnants.


A commencer par le savoir faire de Fleischer qui emballe le film avec un sens du rythme à toute épreuve. Patient lorsqu’il laisse ses personnages se construire aux moyens de dialogues faits de punchlines saisissantes, mais rageur lorsqu’il invite, pied au plancher, l’action à l’écran. Sans crier gare, il nous transporte dans des courses poursuite en pleine montagne où les pneus laissent une bonne partie de leur gomme sur le bitume à chaque virage et les fins de courses se célèbrent en atomisant les pauvres carcasses n’ayant su rester sur la bonne trajectoire. Chaque engagement mécanique est l’occasion pour le réalisateur de sortir l’artillerie lourde : plans à ras du sol, prises de vue d’ensemble afin d’offrir une limpide lecture de chaque scène et travail sur le son prodigieux. Le résultat est sans appel, on n’a jamais été aussi près des moteurs, et lorsque le sifflement du turbo s’immisce dans nos tympans, c’est pour un fin de course empreinte de frissons.


On sent dans the last run un intérêt très prononcé pour les sports mécaniques. Tout le film est d’ailleurs une belle métaphore sur pistons symbolisant la résurrection éphémère d’une âme qui s’est laissée endormir par une vie tranquille. Fleischer commence son film avec Harry en train de régler le moulin, l’œil vif, le geste sûr, de son fidèle destrier. Sa décision est sans appel, finies les journées tranquilles ! Au moment où ce moteur, qu’il a laissé dormir trop longtemps sous bâche, rugira de nouveau, il retrouvera ses 30 ans, pour un dernier tour de piste. Le parallèle entre l’homme et la voiture sera totalement exploité par Fleischer : quand Harry castagne du salop, c’est à coup de capot, quand il retrouve toute sa vitalité, le turbo est en surrégime et enfin, quand il trébuche, sa monture d’acier est mal en point également.


La trogne bien marquée de l’ami C. Scott apporte à son personnage le parfait équilibre entre apathie et assurance. Sa rencontre avec le fougueux Tony Musante, qui symbolise en partie ce qu’a pu être sa jeunesse, et la complexe Trish Van Devere (qui remplaça au pied levé Tina Aumont qui avait fui, au même titre que Huston, le fort tempérament de C. Scott ! ), qui est très certainement la personnalité la plus subtile du film, permet à Fleischer d’inscrire son portrait de truand sur le retour dans un contexte de polar nerveux mais aussi de jouer au jeu du miroir générationnel avec une belle finesse. Nul besoin de remonter le temps, si les aiguilles tournent inéluctablement, les coups, eux, restent sensiblement les mêmes, leur mécanique ne change pas et les hommes qui les mènent non plus. Il faut pouvoir compter sur son talent, mais aussi sur sa chance, pour sauver sa peau. Et si l’on devine qu’Harry a joué cette carte juste avant de prendre sa retraite, son retour dans la partie est l’occasion de transmettre le totem à la nouvelle génération, aussi ingrate soit-elle. Les derniers mots du jeune homme à l’égard de son aîné seront effectivement révoltants pour nous spectateur, qui nous sommes attachés au patriarche dès les premières secondes du film.


A la maîtrise technique de Fleischer, son habileté à dépeindre des personnages passionnants et son absence totale de concession lorsqu’il filme la mort, s’ajoute la belle partition de Jerry Goldsmith. Les poursuites sont agrémentées d’une ambiance sonore remarquable qui contribue à la dynamique de chaque séquence. C’est de toute façon à sa bande son que l’on sait si un polar burné des 70’s est complètement réussi. The Last Run coche toutes les cases sans broncher et passe directement pour moi dans les têtes de série du genre.




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oso
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le 4 sept. 2014

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