Cinexpérience #128 : Rencontre avec Guillaume Nicloux

Critique initialement publiée sur mon blog culturel : www.minimaltrouble.com




Le choix du sujet


Si le réalisateur à choisi de traiter d’un tel sujet – l’Indochine, et particulièrement cet épisode là de la guerre, c’est qu’il s’agit d’une période historiquement peu traitée. Le choix s’est fait en trois temps, explique Guillaume Nicloux, dont sa productrice, Sylvie Pialat, et son directeur artistique sont responsables pour lui avoir soufflé cette fameuse date – le 9 mars 1945, comme point de départ du film. C’est eux qui lui ont donné cette envie de démarrer son histoire là.


Au fur et à mesure de sa documentation, ses recherches sur l’évènement, il fut à la fois horrifié et intrigué, excité, aussi, de pénétrer dans cette période historique peu connue et peu documentée. C’est notamment grâce à Raoul Coutard, réalisateur et directeur de la photographie, présent en Indochine à cette période, que Guillaume Nicloux en apprendra davantage sur cette époque, ainsi qu’en s’inspirant de la 317e section (1965), de Pierre Schoendoerffer et des écrits de Lucien Bodard.


En effet, le film s’attache à la période trouble de 1945-1946, à la sortie de la seconde guerre mondiale, marquée par l’occupation momentanée du Tonkin par les forces japonaises et l’émergence de la résistance indépendantiste. Tassen est l’unique rescapé d’un massacre lié au « coup de force » du 9 mars 1945, riposte japonaise à la reprise en main du territoire par les Français.


Alors que certains films s’écrivent d’une traite, d’autres, comme Les Confins du Monde, ou La Religieuse, prennent plus de temps, de rencontres, de recherches. En résulte ainsi un « espace immense pour fantasmer votre propre guerre », déclare alors le réalisateur, peu friand de vérité historique. Pour lui, il n’y a pas « d’objectivité en dehors de la vérité factuelle », c’est-à-dire les dates, les lieux. C’est à peu près tout.


Les acteurs, les personnages : l’importance des rencontres



C’est très particulier avec Gérard.



« C’est très mystérieux, les rencontres, on ne peut pas les rationaliser. » confie Guillaume Nicloux qui nous décrit ses rencontres comme des fils communs qui s’établissent et permette de développer une intimité particulière, sur le plan humain. Une sorte de désir, selon lui, or « le désir c’est beau car on a du mal à dire ce que c’est. » De même, dans son film, deux désirs s’opposent, mais sont finalement les versants opposés d’une même médaille.


Niveau rencontres, Guillaume Nicloux n’en est pas à sa première collaboration avec Gérard Depardieu. « C’est très particulier, avec Gérard » nous confie-t-il. Concernant le rôle de ce dernier, qui joue le personnage de Saintonge, Guillaume explique qu’il devait tout simplement écrire son rôle, l’inscrire dans cette histoire, cette trame historique prédéfinie et que c’est ainsi que le film s’est rétrécit sur ce qu’il est aujourd’hui, tel un entonnoir. Cette collaboration n’est d’ailleurs pas sur le point de s’achever puisque le duo entame la semaine prochaine le tournage de leur quatrième film ensemble.


Comment les personnages travaillent sur leur rôle ?


Il n’y a pas d’improvisation à proprement parler, mais certains plans n’étaient pas prévus, comme le premier plan, ou encore celui de la grotte, où l’on voit Gaspard de profil. Ils n’étaient pas planifiés cependant ils ont su apporter la respiration nécessaire au film, en pointant quelque chose de l’ordre de l’abandon, du trouble, dont il avait besoin, explique Guillaume Nicloux.


Ainsi, dans un sens, les acteurs participent de façon anarchique au film et au processus créatif : « aucun ne sait ce que j’attends d’eux ». D’ailleurs, Guillaume Nicloux n’organise pas de casting ou de lecture, et lors des face à face avec ses acteurs, il évite le plus possible de parler du rôle, ce qui peut dérouter ses interlocuteurs qui au contraire sont là pour en savoir plus. « J’essaie de les préserver. Cela requiert un certain temps d’adaptation au début, mais après ils comprennent et la forme filmique est bien intégrée. » Ce désir de spontanéité est récurrent dans les films du réalisateur qui nous explique qu’il avait donné une oreillette à Gérard Depardieu dans Valley of Love (2015).


Guillaume Nicloux aime susciter des sentiments : spontanéité et mystère en premier lieu. Ainsi, il évite de trop parler de technicité et d’effets spéciaux derrière le film, et refuse de s’épancher sur les interprétations diverses que ses spectateurs ont. « Votre interprétation est très bien », déclare-t-il à la suite d’une question de l’un des présents à la projection de samedi matin. C’est à nous de fabriquer notre vision des choses, ce qui est encouragé par les nombreux moments elliptiques.


Les difficultés de tournage


L’organisation du tournage fut assez fastidieuse. Guillaume Nicloux avait d’abord pris ses renseignements pour le Cambodge, mais grâce à la présence d’une grande communauté française au Vietnam, il a fini par trouver des arrangements, avec les locaux notamment à qui il a demandé de jouer. « J’aime mélanger les acteurs professionnels et les non-pros. Il y avait beaucoup de curieux et de motivés. » Cela concorde avec l’idée que les acteurs ne l’intéressent pas, ce sont plutôt les personnes avec qui il travaille qui l’intéressent. « C’est une forme de fantasme, une projection de ce que l’on souhaite et que l’on ne connaît pas. »



Le but est d’enfermer les choses et de mentir le plus sincèrement
possible.



« Nous avons rencontré beaucoup de difficultés, mais qui se sont révélée assez réjouissantes. Car avec cette somme d’obstacles, le film avance et devient organique. » Le décor est un objet scénaristique, un support qui permet aussi d’animer le film et de lui donner une âme. Un décor de jungle qui fut « rugueux, âpre, intense », décrit le réalisateur. Ce fut d’autant plus difficile pour l’équipe qui l’a découvert de façon beaucoup plus frontale vu qu’ils n’étaient pas présents lors des repérages.


« Le décor est souvent le premier personnage du film dans lequel j’essaie de me fondre. » En fonction de ce que ce personnage primaire lui impose, que ce soit la contraire climatique ou s’entendre avec des gens, Guillaume Nicloux fait en sorte que cela participe au moment où il crée. Il faut s’adapter. Ainsi, le réalisateur nous explique que face à une semaine de brouillard, il aurait pu faire le choix, peu économique, certes, de patienter afin de reprendre le tournage. Au lieu de ça, il a choisi d’en tirer profit. Il lui est également arrivé de ne plus avoir de lieu de tournage, dans ces cas là, il faut chercher ailleurs, tout simplement !


« Le but est d’enfermer les choses et de mentir le plus sincèrement possible ». Le réalisateur nous invite à un voyage « dont tout le monde sait que c’est un mensonge. » Il n’en reste pas moins que son rôle est de transmettre des émotions, ce qu’il manifeste notamment à travers la scène d’ouverture du film qui est invite à pénétrer le regard du spectateur.


Petite anecdote, le fim est passé en comité de censure – « pas cette version là ! » plaisante le réalisateur en montrant l’écran venant de projeter son film – et une personne du comité était d’ailleurs présente sur le tournage. « Quelqu’un était mandaté pour l’accompagner boire des cafés quand on avait certaines scènes à tourner ! Je pense qu’ils n’étaient pas dupes, mais ils ont joué le jeu », nous raconte Guillaume Nicloux.


De même, question censure, une version édulcorée sera diffusée dans toute l’Asie, en raison d’une scène de douche faisant apparaitre le sexe de Gaspard Ulliel. « C’est banal de montrer un sexe féminin, mais pas un sexe masculin, encore aujourd’hui ».


Argumentaire politique et recherche du beau


Entre recherche de vérité et compréhension des ellipses, Nicloux affirme qu’il ne pense pas qu’il faille comprendre pour aimer. Lui-même est quelqu’un de davantage sensitif. Il cherche à créer dans l’instant. La difficulté dans Les Confins du Monde est justement la juxtaposition de cette infrastructure de tournage lourde face à ce désir de filmer en continuité. Dans le film, c’est Robert Tassen (Gaspard Ulliel) qui décide de son parcours.



Je ne vais pas citer de titres mais… j’ai du mal avec les films
moches. Ça me fait redescendre tout de suite.



La recherche du beau dans ce film est évidente. Le choix des plans, des cadres, le travail des couleurs… Guillaume Nicloux plaisante d’ailleurs à ce sujet : « Je ne vais pas citer de titres mais… j’ai du mal avec les films moches. Ça me fait redescendre tout de suite. » On ressent l’appréciation du travail de la scène, de l’exploration du cadre vivant chez le réalisateur qui a monté une compagnie de théâtre à ses débuts. Il a d’ailleurs voulu tourner son film en pellicule et en vrai scope. « Le numérique ne permet pas d’avoir une gamme aussi précise dans la lumière que la pellicule. »


Au niveau de l’argumentaire du film, Guillaume Nicloux assume sa position artistique plutôt qu’engagée : « on n’est pas obligé de blanchir tous les actes pour arriver à l’indépendance, la liberté ». Il estime que l’on a passé le point de l’argument formel et politique, nous n’avons plus besoin aujourd’hui de dénoncer la colonisation : « on sait que c’est mal, point ».


Mon avis


Ma note : 7.5/10


Dans Les Confins du Monde, Guillaume Nicloux se concentre sur la quête existentielle de son personnage principal, Robert Tassen, une quête existentielle mortifère où le protagoniste est divisé entre vengeance et passion amoureuse. Les deux thèmes semblent se rejoindre au sein de cette atmosphère décousue, à la frontière de la folie qui dépeint les soldats dans tous leurs états : quotidienneté de leurs vies au combat, désertion, opium, prostituées… Une représentation de la névrose sexuelle de la virilité à travers le combat. Amputations, symbolique du serpent, l’incident de la sangsue, représentation du sexe masculin : la guerre atrophie l’essence même des hommes.



La violence fascine. On peut la condamner et en même temps admettre
qu’elle participe à l’intensité de notre vie. C’est le paradoxe
irrésolu de son attrait. Il y a dans nombre d’œuvres littéraires
l’évocation d’images où la douleur et l’horreur flirtent avec la
beauté et l’extase.



Mélange entre réalisme et onirisme, Les Confins du Monde sort certainement du film de guerre traditionnel pour nous offrir un voyage dans un univers particulier, rythmé par les sons de balles et où les visions hallucinées fantasmagoriques côtoient le caractère crû et nu de la violence et de la torture.




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Manon_Vercouter
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le 4 déc. 2018

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