J’en termine avec ma rétrospective Alain Jessua sur ce film dont je n’attendais strictement rien, le dernier de sa filmographie, dix ans après En toute innocence. A l’instar de ce dernier, Les couleurs du diable n’est pas sans défauts mais se suit autrement mieux que cette daube intersidérale que constituait Frankenstein 90. Mieux, la première partie est probablement ce que Jessua a promis de plus passionnant depuis Paradis pour tous.


 Le récit se déroule entièrement à Rome. Nicolas, un jeune peintre aux tableaux mortifères (Ses toiles sont des représentations du moment de la mort) aspire à la gloire mais ne récolte que l’indifférence. Jusqu’au jour où il fait la rencontre d’un homme mystérieux qui lui promet de lui ouvrir cette ultime porte du succès et faire parler son talent. Aussitôt, plusieurs de ses toiles se vendent en une journée. En échange de quoi, l’homme l’invite à le suivre là où des morts subites vont se produire, ici place du Risorgimento où un jeune homme va se suicider, là dans un match de boxe au KO fatal puis dans un Pipe Show meurtrier.
Pour cette incarnation diabolique nommée Bellisle, Nicolas a le talent mais les moyens ne lui sont pas adaptés. Il cite à l’appui certains peintres qui ont su représenter la mort parce qu’elle leur avait été familière – Pendant la guerre, notamment. Il va donc lui offrir de voir la mort afin de parfaitement la représenter. Il s’agit donc de la meilleure idée du film, De Palmienne en diable, consistant pour le jeune artiste à accoucher sur toile la mort dont il vient d’être témoin, offrant jusque dans les moindres détails un naturalisme froid et brutal.
Au moyen d’un crescendo attendu (Suicide, Accident, Meurtre) les toiles de Nicolas vont lui faire sa réussite autant qu’elles vont lui attirer la présence d’un flic amateur d’art et zélé – Un peu à la manière des flics dans les films de Guiraudie. On passera sur l’aspect policier du film, tant l’enquête autour de cette intrigue faustienne avec la nonchalance forcée de l’inspecteur se révèle encombrante et mécanique. Le problème, in fine, vient essentiellement d’une interprétation générale complètement amorphe, le summum étant atteint avec l’acteur qui joue Nicolas, sans aucune consistance.
Mais le film est surtout passionnant dans sa dominante de couleur. Le rouge est central. Dans le premier plan, le dessin d’une bagarre sur une toile est aussitôt souillé par un violent trait rouge. Le garçon qui saute de l’immeuble porte un pull rouge. Le boxeur des gants rouges. Le pipe show est une chambre rouge. Et nous retrouvons cette couleur au détour de plans anodins comme ici un fauteuil ou une voiture, là une porte ou un bocal. Jessua crée une spirale vertigineuse, certes souvent bancale, mais rehaussée par ce coup de sabre pourpre qui envahit chaque plan.
Parmi d’autres probablement plus discrètes, on retiendra cette sublime séquence sur le ring, où un montage épileptique superpose chaque coup réel avec le dessin que Nicolas s’en imagine. Dans ce bref instant, on retrouve vraiment le Jessua à son meilleur. Mais il ne faut pas lui ôter cette dimension fantastique chère à l’auteur, ainsi plus les morts s’enchainent plus la mort sur la toile est représentée à travers l’œil du peintre. Sur le meurtre du Pipe Show, Nicolas entre dans le plan et devient le spectateur qui regarde. Sur le tout dernier, il couche le lieu (une gare) sur toile avant de l’avoir vécu.
Sans être un cinéaste indispensable, Jessua aura trouvé un univers formel fort et une singularité de ton assez passionnante. Je suis ravi d’avoir découvert une grosse partie de cette filmographie, aussi insolite que rare dans le paysage du cinéma français.
JanosValuska
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le 7 juil. 2016

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