David Cronenberg marque son retour au cinéma et à la chair, pour l’un huit longues années et pour l’autre deux décennies, où il se reconnecte en quelque sorte avec les orifices d’eXistenZ, mais aussi avec une vision de l’avenir de l’humanité. Il y a dans ce Crimes of the Future le constat d’un monde en pleine mutation, présenté ici comme un microcosme délabré où les survivants s’adaptent à un nouveau mode de consommation et de divertissement, axé essentiellement sur la synthèse et la mutilation. Le plaisir ayant remplacé la douleur physique pour faire du corps l’objet de toutes les expérimentations, comme le spectacle mené par des adeptes de la performance artistique, le couple Mortensen-Seydoux d’y adonne sous la houlette d’une brigade des mœurs.
Il est intéressant d’y voir malgré la fantaisie de ce présent/futur alternatif un environnement structuré, avec ses garde-fous et ses dissidents, où Cronenberg par delà son récit s’interroge sur la nature de notre propre évolution, du détachement émotionnel menant à la pire menace existentielle. Comme par le prisme du cinéma dévoiler les limites de l’acceptable, à savoir l’autopsie du corps d’un enfant contenant toutes les affres de l’espèce humaine, repoussant le dégout que pourrait ressentir le spectateur face à la chair transpercée vers celui d’un sentiment plus profond, comme l’héritage d’un monde en déliquescence.
Il est aisé de constater que le cinéaste canadien réalise ici un pot-pourri de toutes les obsessions qui le traverse depuis toujours dans sa carrière, avec une métaphore finale un peu plus distincte que dans ses précédents films et l’atmosphère sombre de ses chefs d’œuvres que sont pour moi Videodrome, The Fly ou eXistenZ. Crimes of the Future n’en reste pas pour autant un film facile d’accès, surtout dans sa rhétorique par moment abstraite et son rythme lancinant, il n’y a que le personnage du détective qui peut nous rattacher à quelque chose de concret, s’interrogeant lui-même du déroulement des opérations entre divers partis. L’ambiance, accompagnée par l’excellente bande son d’Howard Shore, est d’ailleurs susceptible de nous arracher du fond un tantinet prolixe du film, avec le risque de naviguer à contre courant, il est donc primordial de s’adapter au fil de la composition du créateur.
En définitive je dirais que ce manifeste cronenbergien demeure en grande partie réussi dans le sens où il est à l’heure de notre époque, tout en étant le testament d’une filmographie riche et atypique, jusqu’à d’ailleurs faire du personnage de Viggo Mortensen une sorte de double du cinéaste artiste, figure immanente d’un mouvement menacé d’obsolescence.