Pour les rabats-jours épousseteurs de lumière glabre qui ne voudraient pas lire ce pavé luisant claquant sous leurs talons moqueurs, voici le lien direct vers mon journal d’un cinéphile prépubère concernant Les Dames du bois de Boulogne.


Je n’avais pas jugé bon de partager ici les liens vers mes plus vieux commentaires de films. Pourtant, en retombant sur celle-ci, je m’en voudrais de ne pas lui offrir un peu plus visibilité. Elle est datée du 3 janvier 1997, et c’est un peu amusé que je retrouve ce qui m’obsédait alors : la structure d’une histoire, le concept de distinction entre « mise en scène » et « réalisation », entre « actions d’ambiance » et « actions dramatiques », les questions de choix, de mesure ou des bonnes proportions. Dans d’autres commentaires de films, et dans beaucoup d’autres notes et analyses confuses qu’il me reste encore à publier, je me penchais encore sur le concept d’« universalisme » (dont le principe était souvent de le définir) ou sur une tentative à définir quasi scientifiquement des styles de réalisation en fonction de leur tempo (comme avec la musique, la théorie, à laquelle pour beaucoup je crois encore, était que chaque séquence bien menée d’un film pouvait obéir au rythme d’un métronome).


Le plus amusant sans doute, c’est que ce qui se veut être des analyses restent encore aujourd’hui, pour beaucoup, incompréhensibles et passablement hors sujet si on convient qu’une critique de film, ou un commentaire comme je préfère le dire mais qui ne correspond pas forcément toujours aux textes écrits qui n’avaient alors pas vocation à être lus (la preuve avec celui-ci), doit répondre à certaines règles de bienséance vis-à-vis du lecteur, au premier rang desquelles, la politesse de se faire entendre (et peut-être aussi d'en rester à ce qui est attendu : le sujet). Ce style de prose un peu particulière pourrait faire sourire, on m’a souvent d’ailleurs moqué pour ça ici ou ailleurs, mais c’est au fond un style auquel je tiens et qui est le signe de mon obstination depuis collège et lycée, non pas à rédiger un devoir censé répondre à des règles imposées auxquelles je ne comprenais de toute façon rien (que ce soit en lettres, en philosophie, en histoire, en théâtre, j’ai toujours écrit de cette façon, à côté, et j’ai passé toute ma scolarité à me prendre des baffes, sans doute justifiées, pour cette obstination butée, comme on me disait à l’époque, à prendre soin à ne jamais faire ce qu’on me demandait).


Et je dois le dire, si le gros de ces morceaux reste, même à moi, plus de vingt ans après, incompréhensible, je dois avouer que quand je crois tout à coup y comprendre quelque chose, ça opère chez moi comme une madeleine de Proust, et beaucoup de ces obstinations rejaillissent d’un coup et de très loin. Voilà pourquoi ce serait idiot de laisser ça dans un coin. Ça m’obligera à me replonger dans ces « analyses » absconses et tordues qui sont aussi de lointains témoins d’une autre obstination, plus générale, qui m’animait, et m’anime encore beaucoup aujourd'hui : celle de comprendre comment les choses se font, comment elles agissent sur le spectateur, parfois différemment et pourquoi, et quels sont les détails qui font justement que ces « choses » arrivent à prendre corps pour nous dire quelque chose du monde sans nous les dire (tu m'as comprendu ?).


Bref, je ne suis pas un « critique », je suis pas grand-chose, et il y a sans doute au fond une sorte d’impudeur à donner à lire ce qui avait été, il y a vingt ans, écrit pour ne pas être partagé, mais là encore, je ne peux m’empêcher de penser que, malgré tout, ce manque de pudeur, pourrait éveiller la curiosité de certains à une époque où les avis, l’écriture, tout, se partage grâce à Internet, aux réseaux sociaux, et où le partage d’un tel style peut paraître aujourd'hui encore plus baroque qu’il ne l’était, disons, pour les seuls qui avaient alors, péniblement, l’occasion de me lire : mes professeurs. Et si personne n’y trouvera son intérêt, j’avoue une certaine manie pour le rangement, le classement, et j’aime savoir que les choses, même écrites au siècle dernier, trouvent leur place avec de jolies illustrations, avec une orthographe corrigée, à un endroit où je suis le seul maître, où aucun professeur ne viendra insulter mes préoccupations du moment, où aucun lecteur ne viendra sous mon nez rire de mes étranges obsessions, commenter comme je le fais moi-même avec le sujet abordé sous un angle dont je me fous pas mal, ou pire me censurer comme ça se pratique désormais beaucoup sur telle ou telle plateforme et supprimer ce qui pour moi a de la valeur : sur mon site au nom amer.


Oui, ces « analyses », ce sont les obstinations d’un cancre. Je n’écris pas de « critiques », je regarde le monde et essaie de le comprendre, notamment à travers des films (parce qu'un film, c'est comme un rêve : une expérience menée à peu de frais). Et les notes, comme une revanche, c’est moi qui les donne. Une revanche, oui, sur une décennie de calvaire où je n’ai, obstinément, entendu qu’une chose : que ce que j’avais à dire n’avait pas de valeur (et à juste titre : on pourrait être Einstein, venir réciter un texte sur la théorie de relativité aux Folies bergères serait un tort ; et je ne suis pas, tout à fait, Einstein). Le hors sujet n’est peut-être pas un art, mais c’est parfois une nécessité, ou peut-être plus une « monstruosité », à laquelle les « soumis » (ceux qui écrivent des « critiques » quand on leur demande de commenter un film ; ceux qui rendent des rédactions en suivant le sujet posé) auraient peut-être intérêt à s’essayer quelques fois, comme un exercice ou une lecture exotique. C’est peut-être ma vocation de « cancre » qui veut ça, un peu comme une manière de trouver une justification à un manque d’intelligence, de discipline ou de connaissances (acquises, pour parler comme à l’éducation nationale), mais oui, je crois qu’il y a une vertu à sortir des clous, parfois, et que c’est en faisant du hors piste qu’on trouve à tracer les meilleurs sentiers de demain. Et j’ai commencé tôt à être un emmerdeur trouvant une justification à ses différentes incompétences : à cinq ans, en classe de neige, c’était bien avant Les Dames du bois de Boulogne, je passe l’examen pour gagner je ne sais quelle étoile censée dire à la montagne entière, à la postérité d’une génération à l’autre, à quel point je suis un brave garçon obéissant, et voilà cet audacieux moniteur de ski qui me demande : « Est-ce que tu peux nous faire des pas chassés ? » J’étais alors moins loquace qu’aujourd’hui (du moins à l’écrit), j’en étais pas encore au point d’expliquer au moniteur de ski à quel point, les pas chassés comme le planté de bâton, étaient des techniques dont je me foutais « tout schuss », et je répondais simplement : « Non, j'ai pas envie ». Trente secondes plus tard, j’en étais bien sûr à demander à ma mère si c’était bien « comme ça » que ceux qui ne sont pas nés pour être cancres (ou renégats) faisaient quand on leur demandait de faire « des pas chassés ».


Les étoiles n'ont jamais été pour moi. J'aime trop le travail mal fait, ou plutôt, jamais achevé, jamais achevable, celui qui ne plante ni bâton ni de chasse les pas, mais creuse une idée et les méninges au tire-bouchon, trépane la matière à la lyre.


L’emmerdeur a donc vu Les Dames du bois de Boulogne, il y a plus de vingt ans, et n’y a pas retenu grand-chose, sinon ces quelques pas chassés… hors piste.


Comme ça, c’est fait.

Limguela_Raume
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le 19 nov. 2020

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Limguela_Raume

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