D’après « Les caprices de Marianne » d’Alfred de Musset, Louis Garrel invite son ami Christophe Honoré à l’écriture d’un geste cinématographique autour du triangle amoureux. Si la légèreté se frotte avec une certaine noirceur, la poésie, elle, fait office de ligne directrice. A la fois intime et viscéral, le trio s’arrache pour mieux s’aimer, se complaît dans la douleur pour pouvoir apprécier la frivolité de la vie.


Clément (Vincent Macaigne) est amoureux de Mona (Golshifteh Farahani). Tous les jours il vient lui rendre visite au café de la gare du nord où elle travaille. Il ne la connaît que peu, mais l’aime à mourir. Mona, elle, ne peut pas envisager cette relation, un lourd secret plane encore sur elle. Clément fait donc appel à son ami de toujours Abel (Louis Garrel) pour l’aider. Ensemble ils se lancent dans une folle course face à l’amour, où l’amitié sera remise en jeu.


Aller de l’avant ou repartir en arrière ? Se souvenir ou bien se projeter ? C’est dans ces tourments que Clément ronge sa vie, véritable excentrique, amoureux inconditionnel. L’ouverture se fait sur une blessure, un mal que la trame scénaristique se devra de refermer. Clément aime Mona, mais Mona ne l’aime pas. Enfin, elle l’apprécie. Clément n’est pas fou, c’est un éternel enfant, un immense rêveur. Mais rêver permet-il d’être constamment heureux ? Clément ne sait pas. Il ne sait pas car il ne veut pas le savoir, pas pour le moment. Si Mona ne l’aime pas, elle l’apprécie, peut-être pourra-t-il être seulement un ami. Peut-être arrivera-t-il à s’y habituer et à l’accepter. Mais il ne sait pas car il a toujours su réfléchir grâce à son ami Abel. Clément est sans identité, Abel en sait trop sur lui même. Si Abel faisait rêver Clément autrefois par ses analyses de la vie et sa gestion d’un temps perdu, désormais il se noie dans son égocentrisme et sa plate noirceur. C’est un trio, chacun se renvoie la balle. Clément désire Mona et quémande le soutien absent d’Abel, Mona ne désire pas Clément mais observe Abel, Abel aide Clément et s’engloutie en Mona. Que faire lorsque tout est cadenacé ? Quand rien ne pourra changer ? Il faut courir, il faut fuir. Mais voilà le point culminant de ce tricyclique qui s’aventure, si la roue principale avance, les deux autres à l’arrière la suive. Personne ne peut s’échapper.


Figure emblématique d’un renouveau français, Macaigne, nouvellement indispensable, est irréprochable. Intense et tourmenté, triste et profond, son personnage nage à l’aveugle, roule à la lune, évite les arbres mais reste dans la pénombre. Quant à Abel, faux mystérieux et fuyard professionnel, les questions essentielles ne sont plus des souvenirs mais des moteurs de combat face à la solitude qui le guette. Et devant ce duo fanfaronnesque aux émotions démonstratives, la douce et magnifique Mona. Fuir mais comment ? Le spectateur est lui même bloqué, ne trouvant pas les issues possibles. Il est question de train, puisque c’est là que Clément a rencontré Mona, c’est là que l’aventure commence aussi pour le trio. Si en dire trop vous spoilera grassement, ne rien dire serait dommage. Car si Mona prend le train chaque soir pour rentrer c’est pour s’enfermer de nouveau en arrivant à destination. Et, alors que l’on pensait que ce trio ne pourrait fuir, il finit par s’évaporer dans la nature. Les trois corps montent sur scène et se lancent dans une ultime scène de théâtre, dernier acte d’une pièce sans fin. Dans les couloirs d’un hôtel, on ne se parle plus, on s’observe, on s’aime, on se questionne, on abandonne et on repart. Qu'y a t-il au delà de l’amitié ? Quand entre en jeu le véritable ami, l’amie vertueux d’Aristote ? Clément et Abel ne sont qu’un seul être, ils s‘aiment et se détestent, ils aiment et ils détestent. Mona ne sera libre qu’avec cet être, sans questionnement mais avec beaucoup de profondeur. Et si l’on veut s’amuser au jeu des prénoms, n’oublions pas qu’Abel signifie la fragilité de l’instant, Clément le bon et l’indulgence et Mona, du grec « monos » qui signifie « seul ».


La suite de la critique sur le site Le Cinéma du Ghetto :


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Charlouille
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le 29 sept. 2015

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Charlouille .

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