*~~Les Ennemis de la Raison Souvent Ressemblent à des Aveugles~~*

C'est parti pour la critique de l'un de mes films préférés (découvert il y a quelques années maintenant). Les boxeurs ont des tas de films pour eux, moi à l'époque je faisais de l'escrime ; et en cherchant mon bonheur j'ai trouvé bien plus encore.


Les Duellistes prend place dans la France Impériale, début XIXème, époque à laquelle Bonaparte menait moult conquêtes territoriales et entretenait la vénération de ses troupes. Au milieu de ces fantassins, deux hussards, Armand d'Hubert le bien nanti (Keith Carradine) et Gabriel Féraud l'enfant du peuple (Harvey Keitel) vont entretenir une querelle pendant plus de quinze ans. Tiré d'une histoire vraie (où la querelle a en fait duré trente ans), le premier long-métrage de Ridley Scott (et de loin le meilleur) nous montre en seulement 1h30 et malgré un budget somme toute relativement limité une fresque assez complexe (en plus d'être magnifique) de la nature querelleuse de certaines personnes.


Féraud, capable de provoquer en duel à mort un homme lui offrant un bouquet de roses, chien enragé dépourvu de raison et poussant l'honneur à son paroxysme, défiant toute sagesse, prend en grippe d'Hubert, qui pendant des années devra se battre tant avec lui-même qu'avec Féraud pour équilibrer l'honneur et la sagesse afin de se conformer à sa nature faite de droiture et de noblesse.


Car si ces deux personnages son à l'opposé l'un de l'autre, un seul point commun les lie, inexorablement : l'Honneur. Féraud ("Gloire à Bonaparte !") gravit les échelons et subit le changement de régime ; d'Hubert ("J'ai toujours entretenu cette idée que je m'appartenais à moi-même...") se contente de faire son devoir et d'entretenir sa "sécurité" politique et sociale ; son rival n'a de cesse de rattraper son grade pour pouvoir le provoquer à nouveau (deux officiers de grade différent ne pouvant se défier). D'Hubert fait pourtant passer l'honneur avant l'amour, amour qu'il perdra et ne retrouvera (en une autre personne) qu'après avoir pris sa retraite, ses dangereuses affaires d'honneur étant (apparemment) terminées. Mais les démons du passé tel que Féraud sont tenaces...


D'Hubert a cependant quelque-chose de plus que Féraud : une capacité à pardonner et à ne pas entretenir le ridicule ("Je vais me faire tuer, en homme responsable, à cheval, et en hommage à la cavalerie. Je ne suis pas fanatique au point de persévérer dans cette stupidité"). Cela ne lui servira à rien car Féraud lui, comme le lui fait remarquer un personnage, ne fait que "déverser sa bile sur lui". Féraud veut se battre à tout prix ("Quelle raison vous faut-il ? Que je vous crache au visage ? Que je tranche une fraction de votre postérieur ou bien craignez-vous que cela ne soit trop ridicule ?"), d'Hubert ne le veux pas mais l'accepte par honneur, tel un devoir. L'honneur est indescriptible, comme d'Hubert le fait remarquer alors qu'il a la poitrine trouée, tentant de retenir un éternuement douloureux (de petites touches d'humour subtil sont ainsi présentes tout au long du film).


Féraud au final a même oublié la raison de leur querelle, modifiant ses souvenirs, tandis que d'Hubert ne l'a jamais comprise, cette raison - il se souvient pourtant mieux des événements que Féraud.


Ce film est fait d'honneur et de noblesse. Il montre que ce qui différencie l'Homme de l'animal, les principes, les valeurs et la droiture peut aussi mener à une fermeture d'esprit, à un manque de sagesse et de clairvoyance et au final nous rendre aussi ridicules que les animaux sans règles que nous gouvernons. Tout est dans la mesure.


Et j'ai donc adoré ce film, malgré ses défauts, malgré sa trop courte durée et ses ellipses malhabiles. Car en plus du réalisme et de l'audace de l'histoire, la réalisation est une pure merveille. Le film date de 1977 et pourtant il est plus beau que tout ce que j'ai pu voir d'autre... Il n'y a pas de CGI, pas même de filtre... Et chaque plan est un tableau de maître. Et pourtant Scott n'a pas fait comme beaucoup à vouloir tout maîtriser jusqu'au moindre détail, il a laissé la vie envahir son film ; ce rayon de soleil au dernier plan n'était pas prévu du tout... Certains trouvaient même le film "trop beau, trop épuré" à sa sortie ; j'ai d'ailleurs tenté Barry Lyndon par la suite mais la comparaison s'arrête là.


La B.O., composée par Howard Blake, est un vrai bijou, en particulier le thème principal. Les acteurs sont d'une grande qualité et nous sortent avec classe des répliques qui sont bien loin du naturalisme contemporain, on croirait lire du Balzac ; la beauté de la prose est digne de celle de la réalisation... Tant de poésie sur la forme et pourtant tant de thèmes sombres et peu courants, traités avec panache, sur le fond...


Ce qui est tragique avec ce film c'est qu'il a été atrocement mal distribué, malgré son succès. Cependant, près de quarante ans plus tard, il n'a pas pris une ride et ne demande qu'à être (re)découvert.

Nevare
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le 20 août 2014

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Nevare

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