Le point de vue d'enfant conforte l'intensité mais aussi tous les biais et limitations évidemment associés ; le dossier s'alourdit sans se nuancer, même lors des horreurs. On ne survole pas le sujet, mais le traverse avec des œillères. Au lieu d'aller chercher les racines du conformisme, on se contente d'en tenir un outrancier et en désigner les effets. C'est peut-être une façon de mieux poser son refus et de réécrire l'histoire d'une adolescence accomplie après des épreuves de honte et de privation. Le film conduit à se révolter et, modérément, souffrir par procuration (ce n'est pas carrément une décharge comme peut fournir n'importe quelle œuvre un peu cruelle et amorale telle Love Hunters), mais il tâtonne et s'avère oublieux s'agissant de sonder ou simplement s'expliquer une secte ou un embrigadement. La poignée d'éléments solides sont simplement cités à nouveau au lieu d'allonger la liste – par exemple ces bêlements des fidèles accueillant le prêtre (puis l'inévitable attentat sexuel qui pourtant a une vertu : être le plus limpide donc celui autorisant la rupture, l'abandon de sa propre inhibition).


L'absence de recul rend même les personnalités clés insignifiantes et plus seulement volées comme elles le sont dans cette expérience. La mère, sur laquelle le film mise beaucoup au départ, est rapidement mise à distance. Elle est l'instrument d'une scène géniale où elle se fait dire cette phrase merveilleuse (hors-contexte ou généralisée) : « Si tu n'es pas capable de perdre tu n'as pas ta place ici ». Décidément, la faiblesse appelle la faiblesse et tous les remèdes sont pourris ! On voit cette femme ravaler sa colère et subir l'injustice légitimée par ceux qui lui parlent à tort ou à raison comme à une enfant – encore ! Et la gamine voit sa mère définitivement enfermée dans son enfer et mise à terre ; elle ne peut se faire confiance ni même s'entendre, elle est faible, tourmentée et crispée sur les pauvres acquis qui peuvent la consoler et enfin la cadrer ; rien de surprenant à ce que plus tard elle trahisse ceux sur lesquels elle doit veiller. Malheureusement pendant une heure, elle n'a plus été intégrée que pour jouer son rôle caricatural dans la secte ou, plus spécifiquement pour l'auditoire, son rôle de mère déviante par petites touches convenues. Le personnage est probablement isolé (plutôt que véritablement délaissé) faute de traitement satisfaisant. Comme pour Au nom de la terre, l'autobiographique est handicapant s'agissant de prendre le dossier et les personnes en charge jusqu'à l'os. Trop de pudeur là où il serait bon de mettre la lumière, pour améliorer la conscience des êtres et donc la perception de ce qui a réellement été. Les éblouis se condamne donc à la stérilité analytique sur l'aliénation – mais pas instrumentale, car il peut servir de renfort à un public engagé, athée ou même des groupes sociaux désireux de justifier l'intrusion dans la vie privée des familles et collectivités.


Son regard reste puissant et il est efficace comme réquisitoire tempéré par une juste compassion pour les lâches complices – ni pardon ni diabolisation. Au-delà l'éveil d'une jeune fille et des fanatiques, il donne à voir la réalité comme le royaume des zombis et de leurs complices tout aussi passifs : l'ensemble des gens y sont aveuglés, terrassés par la force d'inertie, partout, même le copain attentif, les grands-parents indignés, ou à la limite la femme de la brigade des mineurs qui est sensible et prête à entendre la fille, mais est resté bien leste. Les gens peuvent bien brailler ou être en proie à l'anxiété, ils restent des réceptacles. Malheureusement cette conscience n'est pas assimilée ou assumée et cela engendre un film qui refuse de se voir lui-même, de sortir de son cadre pour ne pas être l'otage d'un compte-rendu qui n'a que sa subjectivité pour se dominer – doublé d'un jouet parfait pour ceux qui aiment glisser le poids de la norme dans le rétroviseur et jamais dans les institutions ou les forces du présent, ni dans les ghettos bien sous tous rapports voire couronnés de prestige. Par exemple, il serait bon de signaler que les souvenirs 'atroces' réveillés lors des prières sont un élément commun avec la psychanalyse – secteur autrement difficile à attaquer ; tandis que contre les cathos, surtout s'il s'agit de les amalgamer avec leur pire, la bienveillance et les subventions coulent aisément. Avec des acteurs aux compositions étonnantes dans le cas présent, spécialement Camille Cottin en comptable hypersensible et guindée.


https://zogarok.wordpress.com/2019/11/21/les-eblouis/

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le 21 nov. 2019

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