Film de commande pour José Giovanni qui préparait alors Une Robe noire pour un Tueur (qui sortira finalement en 1981), le réalisateur se laissa convaincre par le producteur Jean-Pierre Rawson (surtout connu pour ses nanards), de la similarité de cette histoire (vraie) de casse avec son propre univers, fait de taulards, de rufians, anciens militaires et autres baroudeurs, lui qui avait été condamné à mort au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour extorsion et complicité d'assassinat, avant d'être gracié et libéré au milieu des années 50. De cette expérience du milieu du grand banditisme et du couloir de la mort, Giovanni en tira par la suite des Romans adaptés avec succès, notamment Le Trou, qui deviendra l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma français (en toute objectivité bien sûr), sous la houlette de Jacques Becker, avant de passer lui-même à la réalisation avec d'excellents métrages, comme Dernier Domicile Connu (1970) avec Lino Ventura, ou bien encore Deux Hommes dans la Ville (1973), composé d'un magnifique duo Gabin/Delon.


Le film qui nous intéresse ici n'est donc pas issu des écrits de Giovanni, mais est une adaptation du livre éponyme, Les Égouts du Paradis, dans lequel Albert Spaggiari raconte de façon autobiographique, le célèbre casse de la société générale de Nice (1976), dont il affirme avoir été l'instigateur et le cerveau. Spaggiari avait alors besoin d'argent pour financer sa cavale, le livre fut donc écrit par ses soins très rapidement et le film sortit au cinéma un peu plus de deux ans après les événements, en 1979. Le métrage nous raconte alors de manière très fidèle (attention spoilers), comment Spaggiari a élaboré son plan, constituée son équipe, mis son idée à exécution (en perçant durant des jours, un tunnel directement depuis les égouts, pour atteindre la chambre forte), puis comment il fut arrêté, avant enfin, de nous montrer son évasion spectaculaire alors qu'il était interrogé par un juge d'instruction.


À propos du film, José Giovanni dira lors d'une interview « Ce qui m'intéressait, c'est qu'on est en 1978 et que ce n'est pas un casse de gadget, c'est un casse qui s'est fait avec de la sueur, des efforts considérables... Des masses, des burins... Un truc presque d'une autre époque leur casse. C'est pas de l'électronique, il n'y a pas de cascade de voiture, il n'y a pas d'hélicoptères qui descendent les héros au bout d'un fil, il y a simplement des types avec leurs muscles, qui sont lancés dans un pari impossible » Au vu de ces dires, comment ne pas faire ici le rapprochement avec le scénario du Trou qu'il avait écrit des années plus tôt, et qui mettait en scène, là aussi, des hommes lancés dans un défi hors norme, celui de s'évader de la prison de la santé, en creusant un tunnel depuis leurs cellules pour atteindre les galeries souterraines. Une histoire minimaliste aux enjeux clairs, mettant en avant l'esprit de camaraderie de ses hommes pour s'en sortir, le tout filmé avec une précision chirurgicale par Jacques Becker à l'époque.


Ici, tout comme dans Le Trou, José Giovanni va s'affairer à développer deux aspects fondamentaux de son cinéma :


- Tout d'abord le côté humaniste, avec cette dynamique de groupe et un certain code d'honneur émanant de ces truands ainsi que le désir de liberté du personnage de Spaggiari, qui ne réalise pas ce casse pour l'argent, mais presque pour l'exploit sportif, pour la beauté du geste, et enfin, presque par ennui, car celui-ci nous est présenté comme un photographe à la vie monotone, ce défi est donc presque une nécessité pour lui, afin de retrouver une étincelle de vie.


- Enfin, Giovanni va développer avec une précision rarement égalée, tout le côté "artisanal" du casse, qui prend à lui seul au moins les deux tiers de la durée du film. Dans la lignée d'autres œuvres avant lui, comme Du Rififi Chez les Hommes de Jules Dassin(1955), mais en bien plus poussé ici, une attention particulière est portée au travail et à l'acte en lui-même que représente ce hold-up ainsi qu'à la détermination et à la difficulté presque surhumaine de mener ce plan à bien.


Si la direction d'acteurs n'est pas toujours des plus heureuses, Giovanni réussit tout de même largement à développer une réelle sympathie dans l'esprit de son public pour ce groupe de rufians, composé de vraies gueules burinées, que l'on pourrait presque voir comme des forçats s'il n'y avait pas le contexte du cambriolage derrière. Une vraie réussite, pour une immersion et un réalisme maximal, très rare dans le cadre du cinéma français. Il s'agit aussi à coup sûr de l'un des meilleurs films de son auteur, qui aura pour ce faire utilisé en guise de décors, certains des vrais lieux ayant servi à la bande de Spaggiari, et reproduit à l'identique la chambre forte de la banque, pour pousser l'authenticité jusqu'au bout. À retrouver dans une belle édition chez Coin de Mire en Blu-ray, avec quelques entretiens très intéressants en bonus.

Christophe-Parking
8

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le 19 sept. 2025

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