De la masculinité primaire à l'émancipation triomphante

Dans son premier et attachant long-métrage, la brillante réalisatrice marseillaise Prïncia Car met en scène des étudiants de l’école de cinéma alternative qu’elle crée en 2018 pour y intégrer des jeunes défavorisés et leur donner l’accès à la culture. Avec certains d’entre eux, elle a déjà tourné des courts-métrages, des clips et des mini-séries. Elle arrive ici directement dans la cour des grands avec la sélection du film à la Quinzaine des Cinéastes du festival de Cannes 2025.

Avec une troupe d’acteurs en devenir qui se connaissent bien, elle explore les relations humaines, affectives et sexuelles d’un groupe en charge d’un centre aéré dans les quartiers nord de Marseille, en pleine chaleur estivale. Certes une noble tâche à responsabilité, mais on voit d’emblée qu’on a affaire à une bande complètement immature, dont beaucoup n’ont que peu ou pas connu de relations amoureuses, comme en atteste le slogan provocateur du synopsis qu’ils proclament : « les filles sont de deux catégories : celles qu’on baise et celles qu’on épouse ».

Omar, responsable du centre, et sa copine Yasmine (sa future femme ?), essaient bien de tempérer leurs ardeurs, mais rien n’y fait et lorsque la bombe Carmen arrive (dans tous les sens du terme), ou plutôt revient, cette ancienne amie d’enfance d’Omar et ex-prostituée, les désirs divers sont à leur comble. Le fragile équilibre des relations humaines et amoureuses va s’en trouver bouleversé, avec de sérieuses remises en question. Le nom de Carmen fait immanquablement penser au rôle titre de l’opéra-comique de Georges Bizet, créé il y a juste 150 ans, cette bohémienne indomptable, érotique, capricieuse, vulgaire et rebelle. On peut penser que Prïncia Car n’a pas choisi ce prénom au hasard !

Au-delà des comportements primaires de mâles en manque, c’est l’attitude de protection d’Omar vis-à-vis de Carmen qui est suspicieuse. Certes c’est pour l’empêcher de retomber dans la prostitution, mais cette relation du type « je t’aime moi non plus » finit bien évidemment par inquiéter Yasmine.

Cette sorte de triangle amoureux des trois personnages principaux, et ses rebondissements, constitue le principal intérêt du scénario. D’autant que c’est Omar qui en fait les frais, étonnamment pris au piège de l’héritage patriarcal de sa famille, et paradoxalement incapable de maîtriser ses pulsions. Yasmine et Carmen se retrouvent ainsi dans une impulsion commune pour leur émancipation, en refusant la prédation et les poncifs masculins les plus primitifs.

La réalisatrice délivre ainsi un film féministe, mais non dénué d’intelligence et de subtilité, car si les hommes ne sont pas épargnés, son message évite la misandrie (comme les récents Les femmes au balcon ou Babygirl) ; après tout ils sont tous tellement jeunes !

Le bémol du film réside cependant dans un jeu parfois trop improvisé, surtout dans le langage souvent incompréhensible à force de « frérot » ou de « wesh » assez pénibles, surtout pendant la première moitié du film. Cela donne un effet quasi documentaire et accentue la caricature de ces quartiers défavorisés de Marseille dont ils n’ont pas vraiment besoin. (N’appréciant généralement pas les versions sous-titrées pour malentendants, j’étais ici bien content d’en bénéficier pour suivre certains dialogues).

Il n’en reste pas moins que ce film est intéressant par le message qu’il délivre pour les femmes qui existent dans leur entièreté, leur colère et leur soif de vie. La caméra s’accroche à leurs envies, à leur être, à ce qu’elles sont d’abord. Et le titre du film se transforme habilement de Les Filles désir en Le Désir des filles !

Prïncia Car pose sur Yasmine et Carmen un regard féminin, qui les extrait d’un quotidien qui les étouffe, une sorte de fresque optimiste et solaire pour elles dans un milieu bien difficile.

Mais que vont-elles pouvoir faire de cette soif de liberté et d’émancipation chèrement acquise, ainsi que leur élan de sororité ? Le film ne répond pas à la question, laissant le spectateur se faire sa propre opinion. Leur aspiration n’est pas sans rappeler celle de Liane dans Diamant Brut de Agathe Riedinger.

Et on aime la bande son avec cette magnifique chanson, à la mélodie exceptionnelle, de Vendredi sur Mer – Les filles désir (https://www.youtube.com/watch?v=OwuAv0aP9kE) qui conclut le film.

Ma critique est à retrouver sur Le Mag du Ciné :

https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/les-filles-desir-film-princia-car-avis-10077273/

Azur-Uno
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le 24 juil. 2025

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