On pourrait,en explorant le nouveau courant cinématographique français dont font partie Bertrand Mandico, Yann Gonzalez et le duo Caroline Poggi/Jonathan Vinel (et dans une moindre mesure, l’autre duo formé par Hélène Cattet et Bruno Forzani) le qualifier de « régressif », mais dans un sens positif du terme. Régressif de par la naïveté des diégèses qu’il déploie, mais aussi par la façon dont il emprunte souvent à l’imagerie du conte et de la fantasmagorie (avec un peu de freudisme ici et là) pour dresser son univers et y faire évoluer des personnages. Le scénario de ce film-ci en est un exemple criant: là où le « Jessica Forever » de Poggi/Vinel évoquait Peter Pan par ses hordes d’enfants grandis trop vite et traqués par des drones pirates, le film de Mandico, en plus de se revendiquer des récits d’aventure à la Jules Verne et de l’ouvrage psychédélique de Burroughs auquel il emprunte son titre, semble également être une relecture de Pinocchio, dans laquelle les petits garçons méchants sont à nouveau envoyés en punition sur l’île aux plaisirs (sauf qu’en faite d’ânes, c’est en tout autre chose qu’ils se transforment...) Avec « Les Garçons Sauvages », c’est d’autant plus le cas que l’enfance (et l’adolescence, jusqu’à un certain point) sont des périodes où tout est encore possible, où toute identité (psychologique et genrée) reste à définir, et où même la différence sexuée, en-dehors des organes génitaux, n’est pas encore évidente physiquement. Un bien vaste terrain de jeux et d’expériences, en somme. Cette « régression » s’accompagne aussi, dans la mise en scène, d’un hommage au passé, aux origines: on a pour commencer la gestion de la couleur dans le film, emblématique, passant d’un noir et blanc ultra-travaillé à des plans fugaces aux coloris baveux, qui rappellent les procédés de teintage couleur des années 20. Idem pour la fameuse île, sorte d’hommage au King Kong de 1933, ou encore au jeu des acteurs, emprunté pour beaucoup au cinéma classique. On aurait tort, cependant, d’assimiler ce retour en arrière à un hommage stérile à certaines périodes (du cinéma ou de l’existence, le film s’adressant plutôt à un public adulte) révolues pour toujours: le fait de revenir aux origines signifie ici faire table rase des acquis, pour retrouver un état où tout est (de nouveau) possible. Sur cette île protéiforme, sorte de retranscription cinématographique de l’hybridité sexuelle prônée par Virginie Despentes dans « King Kong Théorie », plus de règles toutes tracées, mais une imprévisibilité sans cesse grandissante, renforcée par le caractère onirique du film. Même les pronostics les plus calculés s’effondrent: comment prendre au sérieux un(e) scientifique théorisant qu’in monde féminin serait plus doux et servile, quand on voit l’instant d’après les filles créés par l’île faire preuve d’une agressivité et d’une violence égales à celles qui animaient leur période « virile »? La transition d’un genre à l’autre ne s’effectue même pas entièrement pour certains « sujets », qui restent à un état d’entre-deux, de troisième sexe. Même au niveau filmique, l’inattendu survient, avec le « collage » dans le décor de différents éléments n’ayant a priori rien à voir entre eux, ou encore les figures cauchemardesques s’invitant dans la « réalité ». « Les Garçons Sauvages » est à lui seul une jungle tortueuse où l’on se perd maintes et maintes fois. Retrouver son chemin? Mieux vaut oublier. Accepter un moment de retomber en enfance en s’amusant à des jeux pour adultes dans cette oeuvre dont on ne verra jamais le bout? Que voilà une perspective alléchante...

Créée

le 25 déc. 2022

Critique lue 56 fois

3 j'aime

Dany Selwyn

Écrit par

Critique lue 56 fois

3

D'autres avis sur Les Garçons sauvages

Les Garçons sauvages
Fritz_Langueur
10

A l'ombre des jeunes filles en fleurs...

D’ordinaire, avant de voir un film, je m’intéresse à l’histoire, aux noms du réalisateur et acteurs, je vois des images... Souvent je jette un œil ça et là pour en savoir un peu plus. Mais parfois je...

le 1 mars 2018

63 j'aime

3

Les Garçons sauvages
Sergent_Pepper
7

L’île de l’ostentation

Et si, pour innover, il fallait revenir aux origines ? Pour briser la gangue d’un cinéma qui croit depuis trop longtemps être parvenu à maturité, frayer à contre-courant jusqu’aux sources...

le 21 mai 2018

51 j'aime

4

Les Garçons sauvages
Culturellement-votre
4

Entre beauté formelle et vacuité profonde

Les garçons sauvages est un film formellement abouti et interprété avec brio. Mais il reste continuellement en surface, dans une pose supposément transgressive, excessivement irritante par moments, à...

le 3 janv. 2018

44 j'aime

2

Du même critique

Assassination Nation
DanyB
7

Ecran de fumée

Cette critique ne fera d'"Assassination Nation" qu'une analyse partielle: certains aspects ne seront que peu explorés, même si tout aussi intéressants: parmi eux, on peut mentionner le côté très...

le 2 janv. 2019

24 j'aime

2

La Peste
DanyB
9

La condition pestiférée...pardon, humaine

Ce que j’aime bien avec Camus, c’est sa façon, sur un ton neutre et avec des mots simples, de nous dire la vérité. Cette vérité, on avait pu la soupçonner auparavant, mais sans forcément parvenir à...

le 2 avr. 2018

20 j'aime