« Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville, alors allez vous faire foutre » disait Jean-Paul Belmondo dans « À bout de souffle », de Jean-Luc Godard. Natalie, héroïne du film « Le Gens de la pluie » de Francis Ford Coppola, va donc se faire foutre, fuyant ses responsabilités à la ville pour retrouver sa liberté, à travers un long périple au sein des Etats-Unis. Comme son titre l’indique, « Les Gens de la pluie » est un film lacrymal, mais s’adaptant à une telle lucidité qu’il en devient particulièrement touchant, en cultivant notamment une importante sensibilité. Road-movie sorti en 1969, le film cadre une Amérique pauvre, simple, faisant rencontrer trois destins : tout d’abord, celui de Natalie, jeune femme coincée entre son désir de s’évader et les contraintes sociales qu’elle doit supporter ; Killer, joueur de football diminué mentalement depuis un accident, et enfin Gordon, policier à l’histoire tragique.


Si il est considéré comme le tout premier « grand film » de Francis Ford Coppola, « Les Gens de la pluie » demeure néanmoins méconnu du public, même si il mérite amplement quelques lignes flatteuses en plus de s’avérer précurseur. Coppola reprend notamment un propos particulièrement mis en avant dans le Nouvel Hollywood : l’échec de la communication. Une scène l’illustre parfaitement, celle où Natalie joint son mari par téléphone, tandis que leur conversation est coupée à de nombreuses reprises par l’opératrice. Fonctionnant sur le modèle de la tragédie silencieuse, « Les Gens de la pluie » dispose d’une étonnante subtilité dès qu’il s’agit de mettre en scène l’intimisme, officiant ici à la manière d’une illusion et s’accompagnant d’une violence allant crescendo. À ce titre, Coppola se montre bien plus formaliste qu’à l’accoutumée : nombreux sont les flashback, les échappées gracieuses, et le film est en permanence dominé par un esprit didactique apportant une ambiance douce-amère.


Jeune, Coppola a d’ores et déjà le mérite de ne pas se réduire à quelques états d’âme penchant vers un aspect moralisateur. D’emblée, une atmosphère funeste est mise en place, et il devient évident que le film finira mal, tant il sonde ses existences évaporées. Ces gens de la pluie tentent d’éviter les problèmes, se réfugiant dans la disparition. La simplicité de la mise en scène et de l’écriture est exemplaire, et Coppola nous bluffe déjà grâce à sa palpitante maitrise du rythme, choisissant également avec gout l’accompagnement musical pour mieux analyser les blessures et les angoisses de ses protagonistes. Et comment ne pas revenir sur les comédiens. En génial directeur d’acteur, Coppola met en avant trois prestations distinctes envenimées, qu’il s’agisse de Shirley Knight dans le rôle de Natalie ou de James Caan dans celui de Killer, mais surtout un Robert Duvall étonnant, signant sa première collaboration avec le cinéaste qui, plus tard, lui offrira quelques uns des rôles les plus marquants du cinéma contemporain.


« Les Gens de la pluie » est donc bien plus qu’un film précurseur, mais une véritable œuvre à proprement parler, aussi endiablée qu’elle est touchante et simple. On pourrait lui reprocher son final, brutal, et parfois même sa banalité, mais il est difficile de ne pas avoir le cœur fauché face à une si belle histoire, celle de l’Amérique des perdants. Une course impossible, qui nous parle de façon directe, s’abstenant de tout regard vilipendé et de leçon de morale. En bref, c’est un bijou, à faire découvrir au plus vite. Enivrant de vitesse.

Kiwi-
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le 13 janv. 2017

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