Le temps passe, les mœurs évoluent, les mentalités changent, et dans toute cette mécanique temporelle, le cinéma ne fait pas exception. Comme tout art, il est représentatif d’une vision du monde à une époque donnée dans un contexte donné. Fatalement, cela induit qu’un film est très difficilement dissociable de son contexte. On serait donc tentés de dire que c’est aussi le cas de ce Warriors, Les Guerriers de la Nuit, un film délicieusement daté et, pourtant, universel et dont ce style typiquement issu des seventies fait tout le charme.
Bien que le film se déroule dans un futur dystopique, les faits narrés dans Les Guerriers de la Nuit sont largement inspirés d’un véritable fait de guerre qui eut lieu durant l’Antiquité en Perse. Contée par Xénophon, la Bataille de Cunaxa et la retraite des Dix Mille se voient ici remises au goût du jour par Walter Hill dans une aventure nocturne qui, à défaut d’être familière du peplum, s’apparente principalement au genre du western, ce qui est d’ailleurs une des caractéristiques communes à divers films du cinéaste. Ce futur se décrit et prend vie dans la ville de New York, et son côté sans foi ni loi et pris d’une folie ambiante vient le rapprocher de l’univers du futur New York 1997 de John Carpenter.
Dans cette New York du futur, la guerre est permanente et latente, les lois sont régies par de nombreux gangs qui se battent pour conserver leur lopin de terre et y asseoir leur suprématie. Le contexte des Guerriers de la Nuit est celui d’une guerre généralisée, d’une volonté de confrontation entre ces hordes d’individus rebelles et les forces de police ainsi que l’ordre établi. Pour créer une atmosphère chaotique et anxiogène, Walter Hill se sert du récit désespéré de Xénophon pour lui donner vie dans la nuit new-yorkaise, promenant le spectateur dans de sombres ruelles et dans les tunnels crasseux du métro. L’urbanisme est ici un monstre dévoreur, le danger est omniprésent, les gangs adverses se cachent dans l’ombre, et le métro est système nerveux de cette immense machinerie.
On remarque, dans Les Guerriers de la Nuit, cette représentation d’un mal-être latent de la société, lequel a ici atteint son paroxysme, les gangs faisant leur loi et ayant pris le pouvoir. Le dialogue est rompu, les gangs représentent ces laissés pour compte qui n’ont pas eu leur chance et se battent pour survivre, comme le montre la scène où ils croisent d’autres jeunes dans le métro. On y trouve un mélange paradoxal entre solidarité et individualisme, où les individus de chaque gang se serrent les coudes jusqu’au bout, mais où les trahisons peuvent surgir soudainement. La survie dépend de la cohésion du groupe, et le moindre déséquilibre risque d’entraîner la chute de chacun. Ces concepts de loyauté et de camaraderie donnent aussi au film un style assez chevalier, où ces guerriers, bien que mercenaires et, dans l’absolu, voyous, agissent en suivant des codes d’honneur bien définis.
Les Guerriers de la Nuit a la singulière capacité d’être une oeuvre intemporelle tout en étant très ancrée dans son époque par son esthétique, les costumes et la bande originale. C’est un périple nocturne dans le New York futuriste des années 70, un film qui a tout du film culte, qui se regarde et se reregarde, rien que pour son ambiance. Un savoureux mélange des genres avec un style retro mais jamais kitsch ni ridicule, un de ces films qui, comme le bon vin, se bonifie avec le temps.