Les Jours Rouges
6.5
Les Jours Rouges

Court-métrage de Anatole Levilain-Clément (2019)

Cette fois-ci, le public semble avoir eu davantage de discernement que le jury officiel. En effet,ce court-métrage supplante largement n'importe quel autre ayant reçu un prix, c'est à s'y méprendre. Cela reste perfectible, bien sûr, mais le résultat est tout à fait correct. Il y a un véritable travail visuel pour une fois. L'animation est bien faite, fluide. Les dessins sont fort sympathiques, le coup de crayon n'est pas vilain. Disons qu'il y a tout de même un semblant de style sur l'ensemble des plans dessinés. La forme est assez convaincante, même si je trouve le timbre de voix du narrateur un peu décalé. Il aurait fallu un narrateur plus âgé avec une voix un peu plus dure et solennelle qui restaure correctement la gravité de la situation décrite.


En revanche. Le discours est un peu faiblard. Avant tout, tenter de développer un univers et une sorte de mythologie autour en seulement une minute n'était pas forcément un choix judicieux. Ce genre de format de métrage extrêmement court ne se prête pas au jeu. Forcément, on effleure seulement la surface de la chose et le spectateur reste insatiable, un peu frustré de ne pas en apprendre davantage. Le propos est très mièvre et crédule. La nouvelle génération est différente... blablabla... notre énergie verte va contrer les mauvais jours rouges... gnagnagna... et pouf ! que je me transforme en arbre... On ne s'aventure pas bien loin en eaux troubles, on reste au bord de la plage là où on a pied, c'est-à-dire dans la posture et la dénonciation gentillette dénuées d'action concrète.


Ironie de la situation, on a cette tirade dans le monologue du narrateur : « Mais ce qu'il ignore, c'est que la génération qui se tient derrière lui, n'est comme aucune autre. Élevée dans un monde à l'abandon, elle a dû se construire seule. » Ici, on ressent très bien la posture du jeune réalisateur qui se complaît dans l'identification à cette fameuse génération abandonnée du court-métrage. Chose cocasse quand on sait qu'il est de bon ton, et même presque obligatoire quand on tient se genre de discours, d'accuser le coup dans la position de la victime en rejetant la faute sur les générations précédentes, comme si leurs actions à eux ne s'inscrivaient pas dans la continuité logique de ce qu'ils dénoncent (consommation de masse, divertissement...).


Ainsi, la génération des babyboumers (1945-1960) se voit régulièrement attribuer tous les maux de la Terre, parfois à raison, souvent à tort. Et pourtant, s'il y a bien une génération qui incarne parfaitement ce que souhaite illustrer « Les Jours Rouges », c'est bien celle des babyboumers. Eux, qui sont nés au sortir de la guerre - voire pendant - après 6 ans de conflits armés et d'occupation ennemie. Eux, qui ont grandi dans un continent européen déchiré, dans une France ravagée qu'il fallait repeupler, avec une économie à reconstruire, avec des maisons et des écoles à bâtir de nouveau, avec des routes à réparer. Parmi toutes les générations qui sont encore vivantes actuellement, ce sont bien eux qui ont débuté dans la vie avec les conditions les plus merdiques, qui ont connu le plus de souffrance et de difficulté, qui avaient le moins d'outils pour travailler, le moins de distraction, le plus de travail. Donc, cette posture passive-agressive du je ne fais rien mais je dénonce est un choix de facilité, de surcroît lorsque le discours n'est pas approfondi et que l'on se contente des quelques poncifs habituels sur le sujet qui ont déjà été exploités mille fois auparavant.


Et qu'en est-il de la symbolique des couleurs ? Pourquoi le rouge ? Pourquoi le vert ? Le rouge est-il un choix purement esthétique ? Parce-que c'est la couleur du sang, de la violence, la couleur organique et viscérale ? Parce-que la pollution teinterait notre atmosphère de nuances rougeâtres ? Pourquoi le vert ? Parce-que ça fait « bio » ? Parce-que c'est la couleur de la nature ? De l'espoir ? Que représentent ces deux couleurs ? En quoi diffèrent-elles ? Dans quel cas de figure le rouge et le vert s'opposent-ils, hormis sur un feu tricolore de signalisation routière ? Tout cela reste très flou. Si la forme est correctement traité, le fond quant à lui ne l'est pas. Ce court-métrage manque cruellement de développement une fois que l'on a retiré le joli vernis de l'esthétique visuelle, des couleurs vives et de la petite histoire narrée. Le film parle plus qu'il ne montre ou qu'il ne raconte.

SNBlaster
5
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le 26 nov. 2020

Critique lue 62 fois

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