Merveilleux, comme le monde du conte. C'est de cette manière qu'il faut entendre le titre du film. Pourtant aucun indice factuel ne rend le destin des personnages proche de celui de ce genre littéraire; au contraire, leur vie (surtout celle des enfants) a tout d'une galère digne de cette souillon de Cendrillon. Or Gelsomina, l'aînée de la sororie (ou fratrie de filles), véritable abeille ouvrière, engluée (littéralement) dans un travail ingrat auquel elle s’exécute sans rechigner sous les ordres d'un père très autoritaire, papillonne de-ci de-là pour extraire le miel de ses jours, rêvant de s'évader vers une vraie adolescence comme son amie faite de chansons sirupeuses et de stars de télé habillées en princesse.


Et c'est là qu'Alice Rohrwacher, réalisatrice et scénariste, intervient. Parmi le quotidien décrit presque de manière documentaire (à relier avec les débuts de la cinéaste), les pieds dans la boue, servant de structure au film, elle glisse des passages proprement poétiques, oniriques, enchantés, d'une grande beauté: les phares qui traversent la nuit (scène augurale) comme des lucioles, quand l'enfant boit la lumière (synesthésie), la scène féerique (malgré son côté kitsch et ironique) près de la source de soufre ou dans la grotte, la saynète des enfants pour l'émission de télé (sifflement et abeilles cachées inclus), les ombres préhistoriques qui dansent au plafond de cette même caverne, le chameau qui se lève dans la cour, …


C'est donc dans cet exercice-là qu'elle séduit et envoûte le spectateur. Si bien que, en dépit de leur importance, les idées politiques telles que le retour à la nature, la disparition des abeilles (grande catastrophe qu'elle augure pour notre civilisation), l'excès des normes européennes ou le travail des enfants deviennent secondaires dans le traitement poétique du film. Et c'est ce qui a certainement dérouté une partie du public, se perdant dans ces différents discours où prime la liberté, ne saisissant pas les intentions premières de la cinéaste. De très bonnes intentions donc, méritant notre admiration.

Marlon_B
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le 4 mai 2018

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