Les Misérables, est le premier film de Ladj Ly, membre du collectif Kourtrajmé et également réalisateur de nombreux documentaires sur les quartiers sensibles à l’exemple de 365 jours à Clichy-Montfermeil.
Ici, il a choisi une thématique qui correspond à son travail depuis des années. Les Misérables raconte l’arrivée d’un nouveau dans la brigade anti-criminalité (bac) dans la commune de Montfermeil (quartier du réalisateur). Lors de cette première journée, une bavure sur un enfant va être filmée par un drone. Les policiers vont essayer de tout faire pour retrouver cette vidéo compromettante. Le film est inspiré de plusieurs faits réels ayant eu lieu dans cette cité.


Le réalisateur utilise un scénario prétexte pour parler de l’état actuel de la cité. De nombreux sujets sont abordés en fond. Le plus évident est celui du droit commun. Le titre Les Misérables n’est pas anodin, Montfermeil étant l’action du livre de Victor Hugo, montrant les inégalités sociales dans la société du 19ème siècle. La bavure de la bac va entrainer des tensions de plus en plus fortes entre les forces de l’ordre et la population locale. Le rapprochement avec l’œuvre de Hugo peut aller encore plus loin notamment avec les personnages représentant l’ordre. Javert est un personnage gagnant en ambiguïté dans le livre de Hugo, il n’est pas juste une figure froide et rigide, cette complexité dans le film Les Misérables est matérialisée par les trois membres de l’équipe de la bac, ayant des points de vue, des pensées et des actions très différentes. Le film n’est pas du tout une œuvre "anti-flic", il montre bien la diversité présente dans les forces de l’ordre. La recherche du droit commun par la population (justice, représentation sociale, …) est une des grandes thématiques puisque le film va réellement basculer à partir de la bavure, et de la quête de justice de la population envers les forces de l’ordre.


En effet, toute la première partie du film va nous présenter l’autogestion et l’écosystème de la banlieue de Montfermeil. Les trafiquants, les magouilles policières, les contrôles abusifs des forces de l’ordre, les enfants égarés dans la cité, … Toute cette première partie d’analyse de l’écosystème est également intéressante à observer en termes de mise en scène. Le réalisateur a privilégié la verticalité via des plans en drone amenant des plans lancinants renforcés par la musique de Pink Noise. Cette lenteur aérienne apporte une respiration au film entre plusieurs scènes de tensions.


Le film n’utilise jamais un pathos larmoyant. Bien au contraire, on voit bien l’ambiguïté dans l’équipe de la bac avec certains se comportant avec violence et d’autres voulant réinstaurer le dialogue avec la population. De nombreuses personnes citent La haine (Matthieu Kassovitz, 1995) pour citer en comparaison. Pourtant, il y a peu de ressemblances. En effet, le film de Kassovitz montre la dualité des espaces entre les banlieues parisiennes et le centre-ville parisien dans lequel les personnages n’arrivent jamais à s’adapter. Or, l’action du film de Ladj Ly reste dans la cité du début à la fin. La volonté du réalisateur est d’analyser le fonctionnement de la cité et de sa gestion par les pouvoirs publics. Le film peut être comparé à l’excellentissime série The Wire (David Simon, 2002-2008) pour l’analyse sociale ou bien The Training Day (Antoine Fuqua, 2001) qui possède la même structure narrative.


Enfin, le réalisateur a eu l’intelligence d’engager des acteurs amateurs, de la cité de Montfermeil. Certains acteurs sont excellents comme Steve Tientcheu ou Almany Kanoute, montrant au passage de vraies « gueules de cinéma », apportant une fraicheur qui manque au cinéma français.


Les Misérables est sans doute une des grandes surprises du cinéma français de cette année. Il arrive à redynamiser un sujet, notamment en parlant des nouvelles évolutions de la cité (à l’exemple des Frères Mulsumans). Il est porté par une intelligence dans son propos et dans la façon de les aborder avec une fin ouverte, de très bons acteurs et une mise en scène solide. Un des rares défauts est peut-être dans le scénario, notamment sa trame narrative inégale (la bavure intervenant très tard dans le film). Le film possède suffisamment de force pour nous interroger, nous questionner sur ce qui est fait société dans ces quartiers et dans la représentation de ces habitants (notamment la jeunesse).
Bref, un tour de force pour un premier film, juste un mot, bravo !

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le 17 oct. 2019

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