C'est mon Rozier préféré je crois. Peut-être le plus fondamentalement libre du cinéaste, qui s'affranchit de tout, s'octroie le droit de brinquebaler, de délirer à l'infini, de partir rêver aux Caraïbes.
A l'heure où l'on doit dire adieu à Jacques Rivette, je me dis que Rozier est peut-être son cinéaste jumeau. Cette liberté, et ce mystère là, cette exploration très étrange du temps, seuls Rivette et Rozier l'ont atteinte. Mais Rozier serait sans doute un Rivette léger (si tenté de dire que Rivette faisait un cinéma lourd, ce qui est en réalité complètement faux) - plutôt un Rivette comique, burlesque, qui aurait abandonné ses scènes de théâtre et ses romans de Balzac pour partir en vacances.
Le film me bouleverse, parce qu'il est le récit d'une utopie, rêveuse, singulière. Et parce qu'on sait qu'à tout moment, cette utopie qu'est le film pourrait s'écrouler, et que tout ceci, finalement, ne tient qu'à un "pas grand chose" que Rozier sait mieux que quiconque saisir. C'est ce qui le rend un peu inquiétant par moments, et le film joue de cette inquiétude, excitante, ludique, écartant tous ses pièges avec une grâce infinie.
Inquiétant, en effet, car il ne lui faut rien pour transformer la nuit, deux silhouettes, un bateau, une caméra qui bouge dans le dos du soleil assombri. Pour inquiéter, pour stimuler, pour interroger. La liberté effraie au cinéma. Longtemps, le film a été invisible. Longtemps, on a pas pardonné à Jacques Rozier, finalement, de faire un film qui rêve et qui n'insiste pas. Effleurant sans cesse, les rochers, les arcs en ciel, les corps de ses quelques acteurs. C'est l'histoire d'un homme qui aimerait devenir Robinson sur une île déserte, et qui finit en prison, poubelle de la civilisation : ce que montre Rozier, c'est un monde qui se ferme. Mais par résistance, par tempérament aussi, il ne cesse de s'ouvrir à lui.

B-Lyndon
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le 6 févr. 2016

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