Qui est le film ?
Sorti en 1991, Les Nerfs à vif s’inscrit dans un moment singulier de la filmographie de Martin Scorsese : un cinéaste déjà consacré par ses explorations de la criminalité urbaine accepte de revisiter un classique hollywoodien, Cape Fear de J. Lee Thompson (1962). Mais il ne se contente pas d’un exercice de style ou d’un simple thriller psychologique : il reprend une fable d’intrusion (un ancien détenu traquant l’avocat qui l’a défendu) pour en faire une mise à l’épreuve des institutions, de la cellule familiale et des identités masculines.
Que cherche-t-il à dire ?
Scorsese ne filme pas seulement un prédateur qui harcèle une famille, mais une société fragilisée où les rôles civiques vacillent. Le père protecteur, l’avocat garant de la loi, l’autorité juridique : toutes ces fonctions sont minées de l’intérieur. La tension principale est donc moins celle de la traque que celle d’une mise à nu : jusqu’où la civilisation protège-t-elle réellement ?
Par quels moyens ?
Le titre original, Cape Fear, annonce la logique : la peur devient topographie. Scorsese transforme la rivière, les routes, les bords de ville en espaces mentaux. L’eau omniprésente envahit l’imaginaire du spectateur, et la maison, censée être sanctuaire, se mue en fragile îlot cerné d’incertitude.
L’avocat (Nick Nolte) et l’ancien détenu (Robert De Niro) ne sont pas seulement deux personnages, mais deux manières d’habiter un corps : respectabilité affaiblie contre virulence agressive. L’horreur ne tient pas seulement aux coups et aux blessures, mais à la ritualisation des humiliations. De Niro répète ses manœuvres, exhibe ses provocations, comme si la terreur pouvait être codée. La répétition devient forme : gestes insistants, séquences en boucle. La cruauté n’est pas accidentelle, elle s’institutionnalise comme mécanique.
Le droit, les procédures, la police ne suffisent pas à protéger. Scorsese insiste sur cette lenteur, cette rigidité des institutions, qui laissent le champ libre au harcèlement. Le film met ainsi en crise la croyance dans la loi comme rempart. Il suggère que l’ordre civique, incapable de répondre, ouvre la porte à la tentation d’une justice privée.
La menace ne s’exerce pas seulement par la violence physique : elle infiltre la sexualité et la honte sociale. La séduction inquiétante de la fille adolescente révèle le spectre d’une contamination morale. Filmer ce trouble, c’est risquer de l’exploiter : Scorsese joue avec cette limite, obligeant le spectateur à interroger son propre désir de voir.
Où me situer ?
J’admire la manière dont Scorsese détourne un récit de genre pour en faire un examen des fragilités institutionnelles et familiales. Ce qui me gêne parfois, c’est la surenchère, l’expressivité exacerbée de De Niro ou la lourdeur de certains effets, qui risque de fermer le film sur son excès au lieu de laisser l’ambiguïté travailler. Mais cette démesure est aussi sa logique : elle dit combien la peur, quand elle s’incarne, déborde toujours.
Quelle lecture en tirer ?
Le film nous confronte à une vérité : la civilisation repose sur des équilibres précaires, et le moindre fissure (un regard, une faille juridique, une pulsion incontrôlée) peut suffire à tout ébranler.