*Les Neuf reines* est le premier long-métrage de l'argentin Fabian Bielinsky.
Juan (Gaston Pauls, parfait), petit voleur maladroit, est sauvé durant une escroquerie qui tourne mal par Marcos (le toujours excellent Ricardo Darin), arnaqueur sûr de lui, expérimenté et charismatique. Après quelques tergiversations, les deux malfrats décident de s'associer le temps d'une journée. Une journée qui sera particulièrement chargée et mouvementée...
Les vingt premières minutes du film nous montre, sur un mode quasi didactique, quelques combines du duo pour s'enrichir de quelques pesos. Le coup du billet déchiré et le coup de l’ascenseur sont vraiment réjouissants. Le tour de force, c'est de parvenir à nous faire éprouver de la sympathie et de la bienveillance pour les deux voleurs, et ce notamment grâce aux scrupules de Juan, qui culpabilise d'avoir blousé une petite vieille. La réplique de Marcos empoche la mise : « Ah, je vois. On va lui rendre le fric et on monte une rôtisserie alors ! » On découvre l'aplomb et la tchatche de Marcos et, plus surprenant après la séquence d'ouverture où il est si pataud, l'ingéniosité retorse de Juan, excellent improvisateur. Il possède un autre atout majeur, et qui s'avérera encore plus important que ce qu'on pouvait prévoir : il a « l'air d'un brave type ».
Ce duo de petits escrocs va se retrouver pris dans une affaire qui semble bien trop grosse pour lui. Sandler, un vieux complice de Marcos, le fait contacter par l'intermédiaire de sa sœur Valéria, agente d'accueil dans un hôtel de luxe. Sandler voulait refourguer dans ce même hôtel une copie des Neuf reines, timbres rares imprimés sous la République de Weimar, au richissime Gandolfo, capitaliste véreux et philatéliste passionné. Sandler, excellent artiste, a pu produire de faux timbres exceptionnellement ressemblants aux véritables Neuf reines qui appartenaient à son beau-frère. Mais le vieux de 73 ans, en passe de réaliser son plus gros coup, a flanché. Il a alors pensé à Marcos. Le hic ? Gandolfo quitte le pays le lendemain. Les faux timbres doivent lui être vendus dans la journée.
Juan ne cesse d'exprimer sa crainte d'être trahi par Marcos. Averti dès le début du film, le spectateur sait bien que dans cette histoire il ne peut, lui non plus, faire confiance à personne. Les voleurs sont partout dans les rues de Buenos Aires. La plupart des protagonistes sont douteux. Tout le monde est corrompu et prêt à mentir ou tricher pour avoir sa part du gâteau. C'est sur cette impossibilité d'établir la confiance, un contrat solide, une alliance fiable, que progresse l'intrigue.
La réussite des *Neuf reines* repose sur de nombreux atouts : un scénario intelligent à rebondissements multiples (mais peut-être un peu trop nombreux...), une écriture vive et des dialogues plaisants, un duo de caractères opposés et complémentaires, attachants et campés par des acteurs formidables. Le film est savoureux, très rythmé, se regarde avec plaisir et n'ennuie jamais. Pour autant, la dernière séquence, ultime rebondissement, paraîtra invraisemblable et tirée par les cheveux. Il est dommage que le film cède à cette facilité d'un dernier twist censé les surpasser tous. Le plan sur une boîte de cigares ne nous fait pas l'effet vertigineux de la tasse à café estampillée Kobayashi de *Usual suspects*. Ici le twist final, tant il paraît d'emblée improbable, provoque une déception et dessert le film. On aurait préféré qu'il se termine après la scène de la banque, fin beaucoup plus forte si toutes les péripéties de Juan et Marcos avaient été parfaitement vaines, balayées par la crise économique.
Je n'ai pu voir *Les Neuf reines* qu'une seule fois mais il y a fort à parier qu'il pâtisse, comme c'est le cas de quelques films à twist final, d'un second visionnage, le plaisir résidant d'abord dans la prise de conscience tardive d'une manipulation (plus ou moins consentie). La révélation finale implique une réinterprétation de l'ensemble du film et le risque, une fois la fin connue, est que certaines situations qui semblaient limpides deviennent incompréhensibles, superflues ou invraisemblables. Et c'est sans doute ce qui advient si on revoit *Les Neuf reines*.
MonsieurPoiron
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le 14 oct. 2020

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