Et si la fin du monde n’était ni spectaculaire ni explosive, et si le monde s’effritait lentement mais surement ? Après Eldorado et Les Géants, l’acteur réalisateur Bouli Lanners nous présente son nouveau film Les Premiers, les Derniers qui se place dans la continuité de ses autres métrages. Comme dans le reste de sa filmographie, on retrouve en effet le thème de la cellule familiale explosée qui cherche à se reconstituer par tous les moyens. À travers des paysages déserts, un ciel blanc et gris et une perspective infinie le réalisateur dépeint un monde qui semble toucher à sa fin lentement dans une douce mélancolie et où une sourde angoisse intangible s’empare des cœurs. Ainsi à travers ce film, c’est aussi tout le vide existentiel d’une partie du monde occidental qui est mise en avant.


Les premiers plans du film placent d’emblée le décor, un ciel grisâtre, comme une perpétuelle mer de nuage en mouvement. Le ciel est une partie importante de la mise en scène de Lanners dans la mesure où il crée une toile de fond où se découpe la silhouette des personnages, écrasés et emprisonnés entre les plaines à la profondeur de champ sans fin et cet océan céleste. Le réalisateur profite en effet des longues étendues planes et du ciel blanc pour filmer des paysages impressionnants, presque en ombre chinoise, à l’image du premier plan où l’on voit Esther et Willy sur une bande de béton traversant les champs en hauteurs et qui ressort donc de l’écran par contraste. Ce genre de plans abondent dans le film et se gravent sur la rétine du spectateur. Lanners, à de nombreuses reprises, travaille dans ses plans l’horizontalité et la profondeur de champ qui laisse les personnages perdus dans leur vide existentiel comme dans le cadre. Car c’est aussi ça que le réalisateur réussit à filmer avec justesse, sans pathos démesuré, des personnages qui errent sans bien savoir vraiment où aller ce qui donne à la route une place prépondérante dans le film. D’abord d’un point de vue visuel car elle vient se rajouter au façonnage de la perspective en créant des points de fuite qui creuse la profondeur du cadre, puis d’un point de vue thématique en faisant de la route un genre de no man’s land sauvage où le danger peut survenir à chaque virage de manière brutale et furieuse à la manière du premier Mad Max qui filmait lui aussi une civilisation pré-apocalyptique. Car c’est vraiment l’ambiance que Lanners fait planer sur tout son long métrage, une fin du monde inéluctable, un délitement progressif qui, comme Gilou, donne aux spectateurs un sentiment d’imminence de la fin de quelque chose, sans vraiment rien de concret. Ainsi, les personnages chercheront une raison de continuer à vivre malgré ce poids au-dessus de leur tête et ce grâce aussi à une forme de spiritualité qui à l’image de celle du réalisateur est « cabossée ». Le monde du film est donc à la fois aussi terne et gris que peut l’être la réalité tout en étant emprunt d’une poésie de tous les instants à travers certains plans puissants de sens et extrêmement esthétisés. Au niveau du casting on trouve dans les rôles principaux beaucoup de pointures comme Albert Dupontel, Suzanne Clément ou encore Max Von Sydow et Michael Lonsdale qui apportent une touche fantomatique au film, à travers leurs démarches saccadées et essoufflées qui tente par légères touches de redonner du sens à la réalité. Globalement, le casting est très bon et surtout dégage une vraie sincérité.


Au final, on peut définir ce film de beaucoup de manières différentes, mais on pourrait le décrire comme un western crépusculaire et spectral où des héros tourmentés essayent de s’échapper d’un monde qui se meurt en lui redonnant du sens. Car les premiers comme les derniers hommes partagent les mêmes questions et les mêmes angoisses de l’existence.

Adrien_Pointel
8
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le 15 juin 2016

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