Je viens de revoir, en version restaurée, Les Quatre cents coups sorti en 1959, il y a pile soixante ans. Tout le monde sait que c'est le premier long métrage de Truffaut et un de ses meilleurs films (certains disent même son meilleur). Je l'ai donc regardé presque religieusement et, malgré quelques appréhensions préalables, je n'ai pas été déçu.
Le film a vieilli mais n'a pas mal vieilli. Il nous montre un Paris, une France qui viennent juste de tourner la page de la Seconde Guerre Mondiale. À vue de nez, on est en 1946-1948 (le scénario est très inspiré de l'adolescence de Truffaut qui, lui, est né en 1932). Quelle différence, Seigneur, avec le Paris, l'Île-de-France d'aujourd'hui ! Dans le Paris des Quatre cents coups, dans ses écoles, ses rues et cinés, à Montmartre, Pigalle, Clichy, dans les jardins d'enfants, devant Guignol, partout : il n'y a que des visages blancs. Je crois n'y avoir pas aperçu une seule personne de couleur. Quand on compare le Paris des Quatre cents coups avec les Champs Élysées et le Montfermeil des Misérables de Ladj Ly ou tout simplement au Paris d'aujourd'hui (par ex. les boulevards de Strasbourg et de Magenta, Barbès-Rochechouart, etc.), il y a de quoi rester rêveur, se sentir un peu... dépaysé. C'est, revoyant le film soixante ans après son tournage, une des choses qui m'ont le plus frappé (ce décalage entre la population parisienne d'alors et d'aujourd'hui).
Ça + plein d'autres choses ont fait que j'ai eu une sorte de coup de blues en redécouvrant le film qui, en 1959, devait déjà contenir une bonne part de mélancolie (mélangée à pas mal de drôlerie et de légèreté). La rébellion, les mésaventures d'Antoine et de son copain René ont quand même une tonalité assez triste. Pris dans l'engrenage de la vie d'alors et de circonstances particulières, laissés en bonne partie à eux-mêmes, ils en viennent à faire l'école buissonnière, se font classiquement débiner par un élève antagoniste de la même classe et, de fil en aiguille, la situation empire pour eux, jusqu'à ce qu'Antoine se voit accusé de vol et délinquance, passe la nuit au commissariat, avant d'être expédié dans une sorte de centre de rééducation dont, très vite, il s'échappe... Que va-t-il devenir alors ? Que sera sa vie ? C'est la question que son regard anxieux nous pose au dernier plan du film.
L'émotion et la tristesse que celui-ci suscite restent intactes soixante ans après. Le mérite en revient en bonne part à Jean-Pierre Léaud qui, à quatorze ans, joue Antoine avec un naturel bouleversant, mais aussi et surtout, bien entendu, à François Truffaut qui, après avoir tiré de ses tripes le rôle d'Antoine, l'a ajusté à la personnalité du jeune Léaud. On sait que le film s'inspire beaucoup de la propre jeunesse de Truffaut. Ce n'est pas inhabituel pour un premier film. Par contre, que pour celui-ci, Truffaut (qui n'avait pas reçu de formation technique particulière pour le faire, non plus que débuté comme assistant d'un grand réalisateur français des années quarante, cinquante : Renoir, Clouzot, Becker ou autre) ait obtenu d'emblée le prix de la meilleure mise en scène à Cannes cette année-là, oui, je trouve ça étonnant et impressionnant.
Il y a dix minutes que j'ai adorées dans le film : quand son copain René le reçoit chez lui, l'héberge et le nourrit quelques jours dans sa grande maison où il croise de temps en temps sa mère alcoolique et son père qui, autrement, passe ses journées sur les champs de course. J'ai adoré la reconstitution du décor et climat de cette grande maison-grenier délabrée, avec cinq ou six chats persans perchés ici et là, sur les meubles, les lits. Ces dix minutes sont, je trouve, une merveille de mise en scène et de poésie ; dix minutes d'anthologie.


Au total, un bien joli film, drôle, touchant, mélancolique, et d'autant plus maintenant qu'on sait, en le regardant, que son réalisateur de 27 ans allait, 25 ans plus tard, casser sa pipe dans des conditions pas particulièrement sympathiques... Et si l'on croise le Jean-Pierre Léaud d'aujourd'hui au hasard des rues du Quartier Latin ou de manifestations ciné, impossible de ne pas être nostalgique du gentil chien fou qu'il fut et que Les Quatre cents coups immortalise.


Coup de blues donc en fin de projection, à la sortie de la salle, mais... ça va passer.

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le 24 nov. 2019

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Fleming

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