Pour son premier long-métrage, Isabelle Carré filme une autobiographie intimiste et sensible de son adolescence, inspiré de son roman éponyme.
Par le personnage d'Elizabeth, l'immense actrice et comédienne de théâtre expose ainsi, de manière pudique et sincère, le malaise profond de ses 14 ans, sous les traits de la jeune Tessa Dumont Janod (son premier film), qu'elle dirige tout en douceur avec l'émotion et les souvenirs de ses jeunes années. C'est par une approche agréablement onirique où les oiseaux passent comme les anges, que la réalisatrice nous plonge avec Elizabeth dans les services pédopsychiatres de l'hôpital Necker, où elle vécut plusieurs semaines, isolée de ses parents, au milieu de jeunes désorientés et en mal de vivre, qui sortent à peine de l'enfance. Et à cette époque des années 80, les soins étaient surtout médicamenteux et administrés par l'équipe du professeur de service, raillé sous le nom de "la Gestapo", joué par un Bernard Campan (ami et partenaire d'Isabelle Carré) d'abord terrible puis amadoué par les initiatives téméraires d'Elizabeth et de son amie Isker (Mélissa Boros touchante et juste dans ce rôle). Ensemble et entourées de soupirants, elles rêvent d'une vie meilleure, fumant en cachette, contemplant la tour Montparnasse et ses lumières en imaginant la vie qui s'y cache, et visionnant des films (avec Romy Schneider dans Une fenêtre à sa fenêtre de Pierre Granier-Deferre, sans doute pas un hasard...).
En mode flashforward et superposition de visages, la réalisatrice fait intervenir Elizabeth adulte, 40 ans après, interprétée avec finesse par elle-même. Et comme par coïncidence, on la retrouve dans le même environnement à l'hôpital Necker où elle anime des séances d'atelier théâtral auprès d'enfants souffrants de dépression, autres temps, autres méthodes de soin !
Elle en profite pour revenir sur les traces de son enfance, questionnant les approches d'antan et enquêtant pour tenter de retrouver Isker.
Et dans les deux époques, on va ainsi comprendre ce qui l'a sauvée, en bouclant une forme de boucle. On découvre aussi les difficultés de son environnement familial, avec ses parents et son frère. Les impacts ont été lourds mais sont finalement libérateurs. Reconnaissons que c'est un beau scénario, riche en émotions, et superbement mis en scène.
La participation d'acteurs de renom comme Nicole Garcia dans son première rôle de comédienne, Vincent Dedienne, le fils du professeur des années 80, ainsi qu'Alex Lutz, dans le rôle du frère aujourd'hui, apportent une crédibilité au film, par ailleurs focalisé sur les enfants.
Dans ce film très personnel, on sent qu'Isabelle Carré en profite pour jeter un cri d'alarme sur la faiblesse des moyens humains qui sont octroyés à la santé mentale en général, et des jeunes en particulier, notamment par le biais de l'Art, à l'instar du Rire Médecin (Sur un fil) pour les autres maladies graves. Et s'il devait y avoir militantisme, il est tellement bien abordé qu'on a envie d'y adhérer, quelque soit son avis sur la question.
Isabelle Carré signe un premier film profondément humain, savoureusement onirique (on l'entend chanter Il fait toujours beau au-dessus des nuages de Zaho de Zagazan) et émouvant qui confirme, s'il en était besoin, l'extrême sensibilité de la réalisatrice, dont les failles n'ont fait que la renforcer. Et gageons qu'elle finisse par retrouver enfin Isker, pourquoi pas à la faveur de la sortie de ce film.
Ma critique est à lire sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/les-reveurs-film-isabelle-carre-10079602/