L'histoire se déroule au Pays Basque. Bien que tourné du côté espagnol pour des raisons de production, les scénaristes Pablo Agüero et Katell Guillou se sont inspirés des écrits démonologiques du juge français Pierre de Lancre. Ce limier en folle mission traque, étudie et éradique les sorcières, cad les femmes chez qui il reconnaît les qualités du diable qu'il leur plaquait dessus pour expliquer les désirs qu'il nourrit à l'encontre de leur genre.
Les actrices font preuves d'un jeu bien au delà de ce qu'on pourrait attendre de jeunes actrices, que ce soit dans les désaccords qui les mets en tension au début de leur incarcération ou la force qui se dégage de leur sororité renouvelée. Probablement pas un hasard quand on sait que pendant la préparation elles ont vécu 8 mois ensemble afin de trouver la justesse de leurs relations. Les rôles ont été réécrits pour mieux s'adapter à elles par la suite. Quand la recherche thématique mène un réalisateur à diriger son équipe dans une aventure humaine qui vient nourrir le film…la réalité épouse le cinéma (et c'est pour ça qu'on en fait !).

Pablo Agüero lie ce récit oppressif à son enfance dans les bidon-villes argentins et son rapport à l'autorité, la police. Dans toute histoire d'oppression, il y a création d'une sensibilité qui peut permettre la compréhension des autres et Pablo Agüero se montre particulièrement pertinent quand il s'immisce dans l'intimité résistante de ces sorcières. Il a pour sujet dans ses films le "male gaze", comme il l'explique en entretien : "Je montre ce regard, à la fois fasciné et effrayé, par lequel les hommes de pouvoir enferment les femmes dans une image fantasmatique pour mieux les contrôler, les diaboliser, les nier". Je trouve particulièrement intéressant qu'un réalisateur qui s'intéresse à des histoires de femmes tout en voulant raconter leur point de vue, et ce avec une scénariste, intègre le regard masculin, ce en quoi il est réflexif sur le genre et sur les mécanismes historiques des relations hommes-femmes, et non pas seulement complaisant avec des récits qui lui sont externes et que l'histoire a sublimé a posteriori. Personnellement dubitative sur la capacité d'un homme à raconter des histoires de femmes, je suis admirative qu'un oppressé homme qui raconte des histoires d'oppressées femmes avec autant de finesse ça marche et ça marque aussi bien. Ce film naît de son rapport à l'histoire, non pas celle racontée par les nobles et le clergé, mais celle des gens des villages, des illettrés vivaces qui subsistent à travers son récit, celle de ceux qu'on a tenté d'effacer.

Dans le corpus de ceux qui se sont frotté au génocide, on se rappelle des critiques qui ont volé autour de Spielberg pour La liste de Schindler, allant jusqu'à le traiter de négationniste, quant à sa fameuse scène de douche dans les camps de la mort, qui, au lieu du gaz que nous connaissons, libère simplement de l'eau.

Si je ne veux pas me lancer dans ce jugement-ci, je ne peux cependant que louer la manière dont Les Sorcières d'Akelarre s'y prend pour traiter le sujet du massacre des sorcières sans tomber dans les attentes commerciales voulant un happy ending. Un retour possible des marins à temps ou un soulèvement populaire face au clergé pour démonter ce procès sophiste aurait finalement nié la vérité des massacres des jeunes "sorcières" basques face au pouvoir immensurable de la Justice en France ou de l'Inquisition en Espagne. Agüero ne tombe pas non plus dans le piège d'un basculement attendu dans le fantastique, que bien sûr de téméraires auditeurs férus d'histoires fantasques (qui, moi ?) auraient su apprécier. Tout en nous ayant offert la beauté de l'onirisme de la scène de sabbat feint, il refuse de se ranger au côté des nombreuses oeuvres qui, tout en étant compatissantes, pour sauver leurs personnages, prennent le parti de révéler que les victimes sont de vraies sorcières, donnant ainsi un argument de légitimation à la chasse au sorcières. Comme Agüero l'explique, le bûcher, malheureusement bien connu, aurait été une douche froide sur l'énergie folle de survivance de nos héroïnes. En le plaçant plutôt en ouverture du film, il s'offre la possibilité de cette fin ouverte en point d'interrogation, dont il se refuse à donner une interprétation arrêtée, avec cette forme de liberté retrouvée, bien que tragiquement. C'est le saut vers le salut de celles qui ont fini par croire à ces folies, à leur culpabilité, et qui malgré cela plutôt que de chercher à se repentir, décident de s'y identifier… et la cadette que de demander si elles vont s'envoler. Des larmes.

Mayra-regisseuse
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Créée

le 20 août 2022

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