Toujours dans le cadre d'un retour vers James Ivory dont j'avais apprécié il y a longtemps plusieurs films jusqu'à Retour à Howards End, revu récemment. Il a fallu que je voie son dernier film "Un été afghan", l'an dernier, puis lu certaines critiques de mes éclaireurs pour attirer mon attention sur "les vestiges du passé" que je ne connaissais pas et me remettre en tête ce cinéaste à la fois si obscur et si éclairant que j'avais fini par oublier.
Et je ne suis vraiment pas déçu par ce film passionnant qui met en scène plusieurs histoires qui s'imbriquent sans s'interpénétrer. D'abord, la vie d'un lord anglais dans son château entouré de son personnel où le temps semble inamovible et enfoui (empêtré) dans une longue tradition du service. Puis l'Histoire qui est en marche en Europe dans cet entre-deux-guerres où finalement peu de gens prennent conscience des risques lié à cette volonté de revanche de l'Allemagne. Pour finir, la relation entre le majordome et l'intendante.
C'est peu de dire que chacune de ces histoires illustrent la difficulté de communiquer. Cela va bien plus loin. Pour ce qui concerne la vie dans le château, la fonction du majordome est comprise par le Lord comme un prolongement de sa personne, comme son bras ou sa main. La communication est ramenée à l'ordre donné par le cerveau à la main. On n'imagine pas que la main va communiquer en retour avec le cerveau pour discuter l'ordre. D'une autre façon, les conférences entre puissances ne sont que des discussions de salon où les gens avancent masqués (aux ordres de leurs pays respectifs), sachant qu'en 1936 (date de la première conférence dans le film), la messe était largement dite en Europe. Pas question d'une vraie communication. Quant à l'histoire du majordome et de l'intendante, si tous les efforts de l'intendante paraissent voués à l'échec, c'est principalement parce que le majordome est complètement prisonnier de sa fonction mais aussi des convenances et ne sait pas, ne peut pas en sortir. Parce que sa fonction est tout simplement sa vie. Comme son père qui a servi pendant 54 ans et est perdu lorsqu'il lui faut arrêter car il n'y arrive plus.
Spoiler : le pire est d'ailleurs ma presque conviction qu'une issue heureuse de l'histoire d'amour aurait détruit le majordome.
Anthony Hopkins est remarquable dans le rôle du majordome dévoué et totalement investi. On ressent dans son jeu une pointe de regret, un soupçon de passer à côté de quelque chose de bien mais aussi une peur de l'inconnu et une peur de ne plus être reconnu dans sa fonction. Pire, peur d'être pris en flagrant délit de trahir son maître.
Emma Thompson est sensationnelle dans le rôle de l'intendante qui a bien compris que pour toucher Anthony Hopkins, il lui fallait se poser en "mouche du coche" sur le plan professionnel, seul plan susceptible de l'émouvoir. La scène où elle tente de l'atteindre dans son "jardin secret" est très émouvante mais aussi terrible car elle symbolise son échec.
Le reste de la distribution ne démérite pas non plus : Lonsdale dans son rôle (facétieux) du français (à l'étranger) qui se fait remarquer avec son problème d'ampoule à un pied …
James Fox dans le rôle du vieux Lord anglais pacifiste. Christopher Reeves dans le rôle de l'américain inquiet de la désinvolture des européens face à la menace nazie. Hughes Grant qui croit avoir trouvé un confident en Anthony Hopkins, encore un exemple de communication défaillante.
Enfin, pour terminer, un mot pour cette mise en scène impeccable, le jeu d'Ivory sur les lumières éclairant les personnages ou les estompant, les fondus enchainés … C'est habituel chez cet américain James Ivory de le voir peindre d'exquis paysages anglais et on ne s'en lasse pas …