Leviathan
7.1
Leviathan

Documentaire de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel (2013)

Une grande centrifugeuse visuelle et sonore

Par Jérôme Momcilovic

Réchappé d'une heure et demie de terreur et d'extase dans le ventre du Leviathan, le spectateur finira recraché là où le film-monstre l'avait d'abord avalé : dans une nuit parfaitement noire. On lui suggérera toutefois d'attendre un peu avant de tituber vers la sortie de la salle. Le générique effacé, quelque chose revient sur le noir, sous la forme d'une constellation clignotante de poussières lumineuses. Les poussières qui résistent au néant, ce sont des mouettes, et leur vol lointain, microscopique, émeut bizarrement. D'une part parce que ces mouettes, on les a déjà croisées trois fois, beaucoup plus proches, formant un escadron funeste d'une stupéfiante beauté. D'autre part parce que dans cet archipel lumineux et infinitésimal, on croirait voir soufflée par le vent du large la poussière du film lui-même – un pur résidu de matière égaré là, dans les plis du générique. Il faut se fier à cette impression parce que c'est ainsi que Leviathan se donne à voir : comme une grande centrifugeuse visuelle et sonore battant une poussière élémentaire, cosmique, avec quoi composer toutes les figures montrées par le film (marins aux visages de pierre, faune marine suppliciée, machines hurlantes, mouettes d'apocalypse), et, in fine, tous les visages du film lui-même (documentaire immersif, film d'horreur, poème visuel, cauchemar utérin, son et lumière éco-terroriste).

C'est le moyen, proprement inouï, qu'ont trouvé Lucien-Castaing Taylor (auteur déjà du génial Sweetgrass) et Verena Paravel, pour rendre compte de plus de deux mois passés en mer, sur le pont d'un bateau de pêche industrielle, au large des côtes de New Bedford où s'ouvrait Moby Dick – pour plus de détails voir l'entretien qu'ils nous ont accordé. C'est ainsi que le film commence : dans une nuit noire, donc, que viennent percer d'abord, en même temps que de violents éclats sonores, de brusques éclats de couleur saturée. Du rouge, du vert, qui petit à petit s'agencent en formes, révélant bientôt l'image approximative d'une violente pêche au filet. Cette ouverture brutale et pleine de panique pourrait être celle d'un film de science-fiction : les images semblent vues à travers les yeux d'un personnage s'éveillant captif, ligoté, dans une station spatiale en pleine catastrophe. Un monstre guette, c'est entendu, et en même temps le monstre est déjà là : le monstre c'est le bateau, mais aussi l'océan, et encore le film lui-même. Dès lors, et à un plan près, Leviathan n'offrira aucun repos, broyant le spectateur dans une usine de visions d'effroi (le flux incessant des poissons amochés vomis par le filet contre la caméra, puis découpés vivants à la machette avec une furie génocidaire), de tableaux sublimes (les mouettes), et de gestes professionnels, tout juste lisibles et pourtant saisis avec une prodigieuse rigueur documentaire.(...)

Lire la suite sur : http://www.chronicart.com/cinema/leviathan/
Chro
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le 3 avr. 2014

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