Libération
6.4
Libération

Film de Youri Ozerov (1970)

« 2 longues années de combat, de souffrance, de courage et de sacrifice »

En réponse au grand film de guerre Le jour le plus long saluant l’implication occidentale des Alliés à la fin de la seconde guerre mondiale, le parti communiste soviétique entend bien répliquer et même surenchérir pour démontrer toute leur implication historique sur la même période. C’est ainsi que née une immense coproduction de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, de la République Démocratique Allemande, de l'Italie, de la Pologne et de la Yougoslavie : Libération, 5 films qui bout à bout durent plus de 7 heures, comme une mini-série.


RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆

Alors que le cinéma soviétique vient tout juste de repousser les limites du possible pour la mise en scène de ses immenses batailles dans Guerre et Paix, la machine de production soviétique est toujours en marche à plein régime avec ces dizaines de chars, d’avions et de centaines d’hommes progressant en plan large sous les explosions et le feu nourri des défenses soviétiques, ce soldat traversant un champ de bataille à travers flammes et fumées en plan-séquence dans la confusion la plus totale, ces troupes se repliant en catastrophe illuminés en pleine nuit par les projecteurs soviétiques guidant les tirs d’artillerie les massacrant...


Au-delà de l’ampleur des moyens déployés impressionnants en soi, plus de 3000 soldats ayant pris part à la reconstitution des combats avec du matériel d’époque ou ressemblant, on peut voir des astuces de mise en scène assez intéressantes pour assurer ce grand spectacle comme la vue aérienne du champ de bataille précédant un plan rapproché sur des avions en manœuvre comme si on venait de voir leur angle de vue sur les affrontements, les différents filtres graphiques utilisés pour représenter l’éblouissement, l’éclaboussure de sang, le déséquilibre… comme si on voyait à travers les yeux du soldat…


De plus, la photographie peut révéler quelques bien jolis plans contemplatifs avec ces embarcations naviguant calmement sur le Dniepr alors que le soleil semble se coucher dans l’eau, ce soldat déambulant accablé dans le brouillard parmi les débris… L’usage du noir et du blanc pour les scènes des grands dirigeants ainsi que des images d’archive pour les batailles qui n’ont pas été retenues comme à mettre en scène en priorité, il y en a déjà tellement, offre une certaine diversité visuelle au film qui ne se prive pas de la couleur ou de la netteté pour l’essentiel.


Le montage est également assez intelligent avec la superposition des discussions d’officiers et d’images d’archive, ou de cartes dynamiques avec les mouvements de troupes reconstitués… donnant des aspects de documentaire qui seront également revêtis par l’approche narrative, nous y reviendrons. Si tous les lieux historiques n’ont pas pu être des lieux de tournage, parfois pour de simples raisons de sécurité tant certaines zones n’étaient pas encore totalement déminées, certains sont parfaitement authentiques comme les rues de Berlin pour les derniers combats ou le Palais de Livadia pour la conférence de Yalta, ce qui est bien sûr très appréciable.


Les costumes et les maquillages sont d’une qualité exceptionnelle pour les acteurs incarnant les personnages historiques majeurs, à commencer par Hitler et Staline dans l’introduction du premier film, très ressemblants aux images d’archive. Le soin du détail est tel que pour le costume endossé par Boukhouti Zakariadze pour Staline, il a été confectionné par le tailleur qui habillait Staline avec du tissu d'époque, le résultat est bluffant. Mais voyons désormais si cette maestria de réalisation et d’esthétisme se retrouve aussi dans les choix narratifs opérés par le film.


SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆

Le récit prend place lors de la seconde guerre mondiale alors que l’URSS enchaîne les victoires décisives après la terriblement coûteuse mais aussi phénoménale victoire à Stalingrad, de la défense de Koursk, la plus grande bataille de chars de l’Histoire, à la chute de Berlin, scellant la fin du IIIème Reich et de la seconde guerre mondiale en Europe. C’est en effet ce que les soviétiques aiment appeler la grande guerre patriotique, cette partie de la guerre ayant tourné en leur faveur après les défaites majeures et les sacrifices humains incommensurables de l’invasion allemande, un contexte favorable aux assauts héroïques amenant à la libération finale de l’URSS, mais aussi du monde, du joug nazi et fasciste.


Louant l’URSS, le film ne se prive pas d’appuyer tout ce qui justifie la noblesse de la cause communiste, soutient ce qui affaiblit l’ennemi fasciste et nuance la bienveillance des alliés capitalistes. Ainsi, il peut montrer les difficultés de recrutement de l’armée dite de libération de la Russie, les russes qui s’étaient joint aux troupes allemandes, sans occulter leur existence, ce qu’il aurait pu facilement faire par soucis de propagande facile. Il ne manque bien sûr pas l’occasion de dépeindre le mépris d’Hitler pour son allié italien, ni la lâcheté de Mussolini reportant la responsabilité de ses erreurs sur les autres, de mentionner l’opération Valkyrie durant laquelle des officiers très hauts gradés ont conspiré pour renverser Hitler afin de tenter de faire la paix avec l’ouest dans l’idée de concentrer leur forces contre les russes…


Il n’oublie pas non plus de mentionner l’opération Overlord que Churchill souhaitait mettre en place pour empêcher l’URSS de libérer l’Europe de l’Est, anticipant déjà la guerre froide et voulant contenir l’expansion du communisme quittes à retarder la victoire alliée et augmenter les pertes dans son propre camp, ou encore l’opération Sunrise durant laquelle les nazis et les américains discutaient en secret de la possibilité d’une armistice pour permettre à l’Allemagne de stopper l’URSS à ses frontières. Mais si tout cela trahit la perspective partisane du film, on ne peut plus logique en soi, les faits historiques sont en grande partie respectés, il n’y a pas de mensonges.

Par contre, ne montrer que des prisonniers politiques plutôt en bonne forme bien contents de voir des soviétiques étant eux-mêmes communistes, ne voir que des comportements bienveillants à l’égard des civils allemands de la part des soldats soviétiques… C’est sans doute partiellement vrai, mais vu les pillages, les viols, les exécutions qu’il y a eu en masse lors de la libération de l’Allemagne de l’Est par l’armée rouge, sans parler des découvertes infiniment macabres des camps de concentration et d’extermination, je ne suis pas tout à fait convaincu par cet angle d’approche beaucoup plus consensuel.


Pour en revenir à du positif, le multi-linguisme est très fidèlement respecté avec l’usage de russe bien sûr, mais aussi d’allemand, de polonais, d’anglais, d’italien, de français… un narrateur se chargeant de traduire en russe avec un petit temps de décalage à l’oral plutôt que par simple sous-titrage, inhabituel mais pourquoi pas ? Entre cela et le temps accordé à la présentation avec sous-titrage à des dizaines d’officiers et de politiques historiques, le film prend presque des allures de documentaire. A cet égard, il remplit plutôt bien son rôle en restant essentiellement concentré sur la reconstitution de faits et en allant dans le détail des opérations même plus secondaires, ce qui n’est pas un mal.


Le film n’en oublie pas pour autant de jouer sur l’émotion en nous faisant entendre les pensées de désespoir d’un soldat se sentant mourir et ne pouvant rien y faire, en faisant avouer à un homme mourant son amour pour l’infirmière qui tente de le sauver, en montrant deux soldats alliés de nationalité différente fraterniser… Par contre, si les acteurs jouant les personnages historiques sont bluffants pour la plupart, parfois conseillés par les vétérans eux-mêmes, quelques performances d’acteur pour les personnages plus secondaires ne sont pas ultra-convaincants, notamment sur certaines morts un peu ridicules, c’est un petit peu dommage.


CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆

Extrêmement impressionnante dans la reconstitution de ces batailles et de ces événements historiques par un formidable travail de mise en scène, de maquillage… Libération est la formidable épopée cinématographique promise. Il est vraiment dommage que la propagande ait donné ses consignes si politiquement correctes pour ce qui relève de la libération de l’Allemagne de l’Est mais à part ça c’est vraiment l’un des meilleurs films sur le sujet et une proposition cinématographique historique de facto en raison des colossaux moyens déployés, une belle réponse sur le champ de bataille du cinéma au Jour le plus long.

damon8671
8
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le 28 août 2022

Critique lue 84 fois

damon8671

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