Le film est un peu écrasé par ses deux magnifiques premières séquences, l’une se situant dans un bar entre anonymat et brouhaha, l’autre dans un taxi entre écoutes de messages téléphoniques et vibrations citadines tokyoïtes. Like someone in love peut se voir comme un second angle aux mystères identitaires de Copie conforme. Un autre angle ludique qui permet aussi des envolées émotionnelles enfouies. Le jeu essentiellement théorique de Copie conforme où deux inconnus qui se rencontrent se retrouvaient le temps d’une séquence pirouette un couple en perdition, n’est ici que coïncidences, rencontres et actes manquées. En grand metteur en scène qui n’a plus grand chose à se prouver sinon l’élargissement de son terrain de jeu, Abbas Kiarostami crée une situation qui glisse naturellement vers une autre, en choisissant la durée séquentielle et une situation basique qui d’une part ne se livre que partiellement, progressivement et qui s’engouffre vers des cimes inconnues. C’est la grande qualité du film, de sans cesse être dans la surprise. En y réfléchissant, je me dis que si Woody Allen n’avait pas mal vieilli c’est sans doute ce qu’il ferait aujourd’hui, il ferait Like someone in love. C’est aussi pourquoi je pense que c’est un Kiarostami mineur, à savoir que ce film là a la gravité des meilleurs Allen mais qu’il ne s’ouvre pas au point de se transcender comme les anciens Kiarostami. J’aime beaucoup chaque séquence du film mais une fois mise en place, une fois la surprise enclenchée, je trouve le dispositif peu incarné, trop conscient de son potentiel mise en scénique et le huis clos de ce quiproquo ne rend pas grâce au film, il manque un mouvement, une trajectoire. Le cinéma de Hong Sang-soo me manquait. Je suis donc partagé entre une impression de sur fabrication de l’ensemble et le bonheur de me perdre à nouveau dans ces méandres identitaires avec cette jeune femme qui voudrait voir sa grand-mère et se retrouve accompagnée d’un vieil homme pour une passe avant que la rencontre entre son petit ami et ce vieil homme ne lui offre un grand-père de substitution à cette grand-mère qu’elle a manquée. C’est un film extrêmement épuré du point de vue de ce quiproquo, comparé à celui de Copie conforme dans la mesure où celui-ci relève davantage d’une mésentente Rohmérienne que d’un processus théorique. Néanmoins, Like someone in love a la belle idée de faire perdurer ces nouvelles identités, de nous faire douter de leur facticité par de nombreuses évocations et rencontres, entre une peinture ressemblante et une voisine non timorée. C’est un songe. Un songe un peu désespéré. Où il est finalement plus facile d’échanger sous des identités nouvelles (les deux personnages acceptent tous deux d’être grand-père et petite fille l’un ou l’une de l’autre) que de faire exister une relation sous des identités réelles – L’amoureuse oubliée, le garçon trompé, la grand-mère délaissée au bord d’une fontaine. Le film a sensiblement les mêmes défauts que l’on pouvait trouver dans Copie conforme, cette manière d’un peu trop appuyer, de tout tourner autour du scénario. Dans Copie conforme j’aimais l’idée d’un film en deux morceaux car ces deux morceaux me passionnaient tellement que d’une part j’en venais à douter du morceau original et du morceau joué et d’autre part j’oubliais la pirouette scénaristique. Là, je n’ai pas ça, j’ai autre chose, de beau mais de jamais vraiment passionnant non plus.
JanosValuska
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le 20 janv. 2015

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JanosValuska

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