En 1994, trois ans avant la retrocession, Corey Yuen réalisait Bodyguard from beijing, avec Jet li dans le rôle principal. Racontant l'arrivé d'un policier de l'élite chinoise dans le hong kong d'alors, le film était un prétexte pour se faire confronter la culture de la chine continentale avec celle de l'ancienne colonie britanique. La réponse était cinglante: la rencontre tant attendu n'avait pas lieu. Chacun reportait de son côté, malgrés les regards et les envies. Le plan de fin montrait Jet Li sur fond de drapeau chinois: les images comme les territoires demeuraient séparée, et l'intégrité de chaucun était sauve. Cette image finale venait donc neutralisé tous les discours possibles sur d'éventuelles réconciliation. Ambiance lourde, comme les coeurs d'alors.
Un quart de siècle plus tard, la retrocession à eu lieu, la chine s'est imposée avec fracas et toute la culture de Hong Kong s'en est trouvé bousculée. On a d'abord criée à la mort du cinéma hong kongais, puis on l'a constaté. Après tout, Johnnie To n'aura plus jamais l'occasion de réaliser le troisième volet de ses élections. De son aveux, il risquerait gros face aux nouvelles autorités.
C'est sur ce postulat que démarre Limbo de Soi Cheang. Deux flics, un besogneux de la vieille école (ou de l'ancien monde pourrions nous dire) doit faire équipe avec son nouveau chef, un jeune prototype de Hon Kongais tout a fait compatible avec le nouvel ordre chinois. Y'en a un qui est une vrai bête, qui engage son corps tout entier, qui nous fait entrer dans la matière même du film en flairant, littéralement, le tueur. On se croirait revenu à la belle époque. Quand à l'autre, le voilà pris d'une rage de dent. Une dent de sagesse dit-il (belle idée d'un esprit chinois), qui n'en finira plus de le faire souffrir et qui va peser sur son comportement. Comble de l'ironie, c'est le tueur qui va l'en libérer, tueur lui-même corps étrangé (japonais et paria) dans ce territoire anciennement multiculturaliste et maintenant épurgé.
Tout est affaire de corps dans limbo: celui de la femme, estropié, martyrisé, déshumanisé, réduis à l'état d'objet. Celui de la ville, partagé entre lumière des hauteurs (gratte ciel flamboyant) et bas fond poubelle. Qu'on se le dise: jamais Hong Kong n'avait été montré comme ça. Cette vision de la vill est nouvelle. Dépeuplé, fantomatique (tout le monde est assis et semble attendre la mort) et rempli d'ordure, la ville apparaît sous un jour post crépusculaire. Elle a perdu sa matière, ses couleurs. Magma de chair et de plastique où tout se confond (cadavre et manequin), Hong Kong apparait en pleine mutation. Le désastre a eu lieu, nous sommes bien dans l'aprés. Difficile, dans le geste, de ne pas penser à Rosselini filmant Païsa sur les ruines de l'Italie d'après-guerre. Limbo, c'est Entre ciel et Terre de Akira Kurosawa qui rencontrerait l'Enfer des armes de Tsui Hark.
Il y a ceux qui accompagnent cette transformation. Des survivants. Et puis les autres, rendu à leur état de fantôme.
Limbo, c'est le témoignage d'un état transitoire, entre ce qui est définitevement mort et ce qui n'est pas encore tout à fait advenu.
Retour au primitif du noir et blanc, tout est a reconstruire. Tout est envisageable. Du meilleur comme du pire.
Limbo, c'est un cinéma de transition.
Un cinéma mort-vivant.
critique sur ma chaîne youtube : https://youtu.be/IzzhDR8TwbM