C'est le lendemain du visionnage pour moi et le premier mot qui me vient encore à l'esprit est "wow". Pourtant je pense que j'ai senti venir la gifle dès que j'ai vu l'alchimie du casting de Meryl Streep, journaliste "de gauche", en face du sénateur républicain de Tom Cruise qui lui annonce le scoop de l'année : une nouvelle opération militaire en Afghanistan. À les voir mener leur propre bataille d'éloquence et de dialectique, on peine à croire que les sentiments qui animent les personnages l'un vis-à-vis de l'autre soient feints. En fait, je me suis pris·e à imaginer que Cruise avait été casté à son insu pour ce qu'il représente réellement : l'arrogance charismatique d'un leader confiant qui sait qu'il obtiendra ce qu'il désire.
Cette bataille n'en est pourtant qu'une parmi trois. Avant celle qui se mène au sens propre dans les montagnes afghanes, il y a aussi celle d'un prof en sciences politiques et de l'étudiant blasé qu'il veut essayer de ramener sur les rails de l'implication politique. Dans le rôle du premier, on retrouve Redford, et on ne lui en voudra pas une seconde de s'être casté lui-même. Là encore la joute verbale est de haute volée, réaliste mais pertinente, résumant l'essentiel du débat américain sur l'Afghanistan de manière compacte et haletante.
La "vraie" bataille, celle des soldats donc, pourrait passer pour des inserts avec pour but de glisser un peu d'action dans cette œuvre dense en mots. Mais Lions for Lambs n'est pas non-linéaire pour le simple dit de l'être : les trois histoires font écho les unes aux autres, et bien que Redford ne donne pas du tout dans le documentaire, il arrive à donner une dimension politique profonde aux décisions liées à l'Afghanistan, aussi bien au niveau individuel des soldats qui choisissent de s'engager pour suivre leurs valeurs morales, qu'à celui des décideurs. Bref, le genre de films qui, non content de manier parfaitement la petite et la grande histoire, relient les deux en nœuds sophistiqués.