Je commence à peine, 10 ans après avoir vu mon premier film de Kim Ki-Duk, à saisir les contours de son style affirmé et à réaliser que ce que j'avais pris pour une bizarrerie potentiellement passagère est en réalité une sorte d'empreinte durable, une marque nette propre à son style. Loin de moi l'idée d'apposer un jugement ferme et définitif sur la carrière et la sensibilité artistique d'une personne sur la base de 4 de ses œuvres, mais en l'état, il est vrai qu'il se dégage très nettement une appétence pour les dispositifs de mise en scène très éloignés des structures classiques et pour des exercices de style très ostensibles qui mettent en avant des expressions poétiques fortes — et en l'occurrence, qui ne me plaisent pas trop, comme prisonnières d'un cinéma d'auteur qui s'y complaît un peu trop dans cette dimension auteurisante.


Mais dans "Locataires", la poésie bien qu'évidente dans ses intentions, est bien moins pénible que celle qu'on avait pu constater, au hasard, dans "L'Arc". Si je m'en souviens bien. Le mutisme des deux protagonistes forme un parti pris qu'il faut accepter très vite, il est asséné sans précaution et nous suivra tout le long de l'histoire. Il n'est pas forcément justifié dans la diégèse, et il est posé là de manière un peu aléatoire. Les pérégrinations du protagoniste, visitant des maisons inhabitées à la faveur d'un truc un peu bateau (coller des affiches sur les portes et observer celles qui ne sont pas enlevées) pour y vivre quelque temps, sans rien voler, au contraire en arrosant les plantes, lavant du linge, réparer des appareils, etc. Un jour il tombe sur une femme battue par son mari.


L'ensemble est certes poétique, morbide parfois, il n'en reste pas moins vain de temps en temps, et forme une coquille assez hermétique dès la présentation de son concept. La fin, avec la matérialisation d'une poésie des corps fantomatiques (travaillée en prison pour le jeune homme), était dotée d'un potentiel que j'aurais aimé voir exploité bien davantage. Le film est plutôt insolite (comme si les mots briseraient la magie du couple formé), un peu creux malheureusement, mais qui peut aussi faire penser au récent «Parasite" de Bong Joon Ho et qui peut se targuer de contenir quelques belles scènes (le baiser échangé au-dessus de l'épaule du mari) malgré un ratage net à mes yeux dans le rapport à la pudeur supposée, brisée par le caractère démonstratif de l'ensemble.

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le 26 avr. 2023

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Morrinson

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