Un voyage initiatique dans les rues de Tanger

Le mercredi 25 janvier 1832, le peintre Eugène Delacroix débarquait à Tanger. Son premier voyage hors de France allait le marquer profondément, puisque les huit carnets de croquis et d’aquarelles qu’il en ramena alimentèrent son œuvre picturale jusqu’à sa mort.

Plus d’un siècle et demi plus tard, le réalisateur André Téchiné allait lui aussi entreprendre son propre voyage au Maroc, aussi beau et sauvage, mélancolique et coloré que celui du peintre. Le film s’ouvre sur un Serge barbu et chevelu, de profil, regardant on ne sait trop quoi : la mer, le Maroc qui lui fait face (il est encore en Espagne) ou en lui-même…

Serge est chauffeur routier. À Tanger il va retrouver son amie, Sarah ; le jeune Saïd qui ne rêve qu’à l’Europe, ainsi que François, autre personnage venu, lui aussi, du film Les Roseaux sauvages.

Dans un Tanger lointain et pourtant familier, chacun vit à son propre rythme, suivant ses envies, son travail, ou en se laissant porter par la musique de la ville. Le décor est solaire, les couleurs chaudes dominent, même la nuit, depuis la veste de Serge jusqu’aux phares de son camion. Ici pas d’angles durs, pas de pointes ; l’air chaud semble émousser la matière comme il le fait des volontés.

Le film nous montre trois jours de la vie d’un petit groupe de personnages très différents les uns des autres, mais tous inextricablement liés par la famille, l’amour, l’amitié, la curiosité ou le business. Ce petit monde un peu en marge, parlant quatre langues, pratiquant différentes religions ou sexualités ; ces gens dont la vision du monde, et les raisons d’être au monde, divergent parfois, savent tous nous toucher par leurs errements, leurs hésitations, et tout d’un coup par leur force, par un mot, un geste qui affirme leur volonté d’être là. On peut tour à tour être sous le charme de Serge ou Sarah, de François ou Saïd ; chacun d’entre eux est beau dans sa simple humanité.

Loin est un film subtil, tout en demi-teinte ; le jour est semé de taches d’ombre et la nuit à Tanger est adoucie par la lumière des réverbères. Pas de héros ici, le film magnifie ses personnages tout en restant dans une réalité, étrange pour nous, mais pas si éloignée que cela. Riche dans le détail, des lunettes brisées de Saïd au serpent qui passe dans l’herbe sèche, Loin nous plonge dans une aventure du quotidien, nous fait rêver avec quelques vies ordinaires.

Le film s’est d’abord appelé Terminus des anges. Initiatique et symbolique, en même temps simple tranche de vie, bien que “loin” il nous marque parce qu’il est si proche de nous. Au cours de cette histoire, un homme va mourir, un autre va naître. Mais ce film nous donne des ailes, pour que la vie continue.

Gaetan-Menelec
7
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le 9 sept. 2022

Critique lue 13 fois

Gaetan Menelec

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