Un rouleau-compresseur émotionnel. Désespérés face à la maladie de leur fils, les parents du jeune Lorenzo décident de chercher eux-mêmes un remède, quitte à sacrifier du temps au chevet du garçon pour se plonger dans les ouvrages médicaux et tenter, sans relâche, de trouver une solution malgré les diagnostics.


En toute logique, un tel sujet aura tôt fait de déclencher les réflexes habituels de méfiance, faisant craindre un mélodrame sirupeux y compris et surtout à cause de son étiquette "tiré d'une histoire vraie". Le public français qui a grandi ou vécu dans les années 90 pourra d'ailleurs s'étonner, sans même l'avoir vu, de n'être jamais tombé sur Lorenzo un dimanche après-midi sur M6. Et bien entendu, il est nécessaire de voir le résultat pour comprendre que la radicalité du film n'avait pas sa place dans les grilles de la sixième chaîne. Car si ses arguments tire-larmes ne sont jamais mis en retrait (enfant malade + parents courageux + combat acharné), la réalisation ne tend pas une main compatissante au public : elle lui rentre dedans afin qu'il vive ce drame de l'intérieur.


D'ailleurs, nul besoin de savoir s'il s'agit d'un projet personnel ou d'une oeuvre de commande pour se prendre en pleine gueule les apports graphiques et thématiques de son metteur en scène George Miller. Médecin de formation, l'Australien a pour habitude de ne pas faire de cadeaux à celui ou celle qui accepte de passer 2h en sa compagnie, qu'il s'adresse aux adultes, aux enfants, voire aux deux à la fois avec son mésestimé Happy Feet. Ni film d'animation familial ni délire post apo en cuir, Lorenzo compte parmi ces travaux que l'on dit égarés en milieu de carrière, relégués aux oubliettes par des films-univers plus fous, plus imposants. La surprise n'en est que plus grande, George Miller fonçant tête baissée dans son intrigue domestique.


Egalement coproducteur du long-métrage, l'ami George a déjà prouvé qu'il ne tenait pas en place au poste de réalisateur. S'enfermer dans une intrigue au cadre réaliste, c'est prendre le risque d'un rendu final excentrique. Intelligemment, Miller s'est contenté de faire son boulot de metteur en scène, adaptant ses idées au sujet plutôt que l'inverse. Inévitablement, Lorenzo chope très vite le spectateur au ventre pour l'embarquer dans un mélodrame où les mouvements de caméra se font le traducteur direct d'émotions à fleur de peau, quand ils ne font pas partager la douleur insoutenable d'un enfant à l'agonie, entre crises respiratoires et capacités psychomotrices de plus en plus amoindries.


Passionnant et rude, Lorenzo fait redouter jusqu'à son prochain changement d'axe, Miller n'hésitant pas à parcourir une pièce au ras du sol pour aller surplomber le lit de l'enfant malade, s'immergeant par le son et l'image au coeur même de sa douleur. Jouant également sur des détails casse-gueule pour caractériser ses personnages (l'accent maladroit et la gestuelle fragile de Nick Nolte, notamment), le film, impudique et très humain, ne fait pas de compromis. Et par la force des choses, Lorenzo donnera très exactement au public ce qu'il est venu chercher : une histoire poignante. Sauf que Miller étant Miller, il tire de cette histoire un coup de boule de 120mn où la construction scénique sollicite sans répit l'attention et la résistance du spectateur.


Au passage, le monteur Richard Francis-Bruce signa ici l'un de ses meilleurs travaux, bien avant Les Evadés et Seven (mettons de côté Ghost Rider, dont il n'y avait pas grand chose à sauver). Que son affiche anonyme n'induise donc pas en erreur : Lorenzo est bien un film de George Miller, avec tout ce que cela sous-entend d'expressivité viscérale. Ce qu'on appelle un drame éprouvant, bien décidé à fuir les émotions obtenues sans prise de risques et les ellipses confortables.


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Fritz_the_Cat
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le 8 nov. 2015

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Fritz_the_Cat

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