Treize ans avant Eighteen Springs, la réalisatrice Ann Hui adaptait déjà un roman à grand succès de Eileen Chang, une des plus grandes figures de la littérature chinoise du 20ème siècle, avec Love in a Fallen City (1984). Considéré par certains comme un film mineur dans sa filmographie, Love in a Fallen City est, il est vrai, moins puissant que des films tels que Boat People (1982) ou The Story of Woo Viet (1981). Mais il n’en demeure pas moins un drame assez puissant dans lequel la réalisatrice jette un regard des plus intéressants sur les normes sociétales de l’époque en nous présentant une histoire d’amour atypique, où les personnages principaux sont, avec leur relation des plus ambigües, à des années-lumière du schéma classique de Roméo et Juliette. La sortie du film chez l’éditeur Spectrum Films est l’occasion de (re)découvrir l’univers de Ann Hui.


Fer de lance de la nouvelle vague hongkongaise à la fin des années 70/80 avec des films tels que The Secret (1979), Ann Hui succombe finalement à l’appel de la Shaw Brothers, alors en plein déclin, et signe avec Love in a Fallen City son cinquième film. L’histoire nous présente Bai (Cora Miao), jeune fille de 28 ans qui a divorcé il y a environ huit ans et qui vit depuis avec sa famille à Shanghai. Ils l’ont accueillie par obligation familiale, espérant qu’elle passerait rapidement à autre chose mais Bai est introvertie et dans une sorte de blocage émotionnel. Seule dans sa chambre, elle imite avec amour les mouvements précis de l’opéra chinois, montrant qu’une lueur de romantisme brûle encore en elle. Mais devant les autres, elle ne fait que baisser les yeux et essayer de ne pas attirer l’attention. Un jour, elle rencontre Fan Liuyuan (Chow Yun-Fat), un homme d’affaires extraverti vivant à Hong Kong qui se sent immédiatement attiré par le mystère que suscite l’introversion de Bai. Bai et Fan semblent bien s’entendre, mais cette dernière repousse toutes ses avances, allant jusqu’à refuser ses demandes en mariage. Elle semble avoir des sentiments pour lui mais peut-être a-t-elle peur du côté playboy de Fan ? Mais lorsque le Japon envahit Hong Kong, les préoccupations de chacun deviennent bien plus primaires, bien plus simples, bien plus propices à développer une vraie relation d‘attachement, une vraie relation d‘amour. Avec cette histoire d’amour, Ann Hui va s’intéresser à diverses thématiques telles que la place des femmes dans la société chinoise de cette époque, mais aussi sur les différences de classes sociales représentées, entre autres par les deux personnages principaux. Le duo Cora Miao / Chow Yun-Fat fonctionne à merveille, leur jeu est à saluer, aussi bien Cora Miao dans son personnage introverti, sur la réserve, que Chow Yun-Fat en mode bien plus « cool », parfois à la limite du goujat bien qu’il reste malgré tout toujours extrêmement sympathique.


Le personnage interprété par Cora Miao pourra parfois paraître malheureusement un peu irritant, se refermant complètement face à une histoire d’amour que pourtant elle souhaite, donnant parfois cette impression que le récit n’avance pas. On assiste à une succession de scènes dans lesquelles Fan tente de la séduire, presque en vain. Mais cela semble nécessaire pour Ann Hui afin de démontrer qu’en temps de guerre, le statut social ne compte pas et que, malgré les horreurs de la guerre, l’amour peut toujours s’épanouir. Mais force est de constater que la première heure traine parfois un peu en longueur et pourra perdre certains spectateurs en cours de route. Lorsque la guerre est déclarée, la réalisatrice ne cherche pas à en cacher les horreurs : les maisons et bâtiments sont détruits par des bombes et de nombreux combattants et même civils sont tués au cours d’échanges de tirs. Ce troisième acte semble un peu précipité, surtout après le côté « posé » des deux premiers. Peut-être le film aurait mérité d’être mieux équilibré pour fluidifier son récit. Mais une chose est sûre, c’est que la mise en scène de Ann Hui est vraiment réussie. Une mise en scène dramatique d’une grande précision, un peu comme peut l’être celle d’un Wong Kar-Wai, sans les excès visuels. La photographie est vraiment belle, avec des plans superbes où rien n’est laissé au hasard dans le cadre. Le mix romantique / dramatique est finement conçu, jusque dans la musique faisant parfois référence à l’opéra chinois. Mais Ann Hui refuse de succomber au mélodrame alors que les évènements du film auraient facilement pu donner lieu à des scènes larmoyantes, permettant au scénario de ne jamais tomber dans le larmoyant et de rester sur sa ligne directrice du début à la fin.


Moins puissant qu’un Boat People ou qu’un The Story of Woo Viet, également de Ann Hui, Love in a Fallen City demeure néanmoins une agréable romance dans laquelle l’alchimie entre Cora Miao et Chow Yun-Fat est palpable. Un joli film.


Critique originale avec images et anecdotes : DarkSideReviews.com

cherycok
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le 4 oct. 2021

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