Film pas très honnête que ce Lovelace, qui retrace l'histoire de l'actrice Linda Lovelace, rendue célèbre "grâce" au film porno Gorge profonde. En consultant l'affiche, on croit comprendre qu'il s'agit d'une sorte de célébration de la libération sexuelle des années 70. L'accroche "Elle a mis Hollywood à genoux", en petit clin d’œil grivois complice, invite à penser qu'on est devant le petit frère de l'excellent Boogie nights de Paul Thomas Anderson, mais avec une touche plus authentique (quoi que Dirk Diggler, le personnage incarné par Mark Wahlberg était basé sur un vrai acteur mort du Sida).


Et la première moitié du film est effectivement très légère, sans pour autant être agréable à suivre. L'héroïne évolue au sein d'une famille a peu près normale, même si l'adolescente rencontre des problèmes avec sa mère (Sharon Stone) peu commode. Linda est une jeune fille limite prude, et on ne comprend pas trop comment elle commence dans le X vu son caractère... à part le fait qu'elle soit entraînée par son connard de petit copain (le toujours très bon Peter Sarsgaard).


Et dans le dernier tiers du film, alors qu'elle est devenue une célébrité mondiale, et que les stars se bousculent pour la rencontrer, elle entreprend d'écrire son autobiographie. Enfin, on lui impose de l'écrire pour faire du pognon, car elle traîne une certain nombre de parasites de la pire engeance dans son sillage. Et à partir de ce moment là, l'histoire que l'on vient de nous raconter est reprise de zéro, un peu comme dans l'Arnaque. À la différence près que le spectateur n'a aucun plaisir à être dupé.


On recommence de son mariage plus précisément, et l'on découvre que tout ce qu'on a vu avant est un truc romancé complètement fake. De la nuit de noce - qui n'est ni plus ni moins qu'un viol - à ses débuts devant la caméra. On a donc entrepris de ne nous détailler pendant 45 minutes une histoire qui n'était pas conforme du tout à la réalité. Et on rectifie cette trame durant le reste du film.


Et ce procédé est une trahison injustifiée envers le spectateur qui fait un effort pour admettre les invraisemblances qui parsemaient cette grosse première partie. Et d'un coup le réalisateur te dit "en fait c'est pas vrai mon con ! c'était la vision de euh... personne, c'était juste une feinte pour te faire kiffer un peu ce cadre coquin en apparence mais qui est en réalité ultra glauque, et pis pour masquer les violences qu'elle a endurées hin hin pas con le mec !".


On voit désormais la froide réalité, et les scènes précédentes sont rejouées pour nous montrer une jeune femme battue, exploitée qui touche pas un rond, prostituée de force par son mec dans des gangbangs etc... Bref ultra dur. Et c'est pas que je sois contre cette froide lecture de la réalité, ou que j'aurais voulu qu'on m'explique que ce milieu est un repère d'humanistes libertaires. C'est à l'évidence comme cela que ça se passe dans ce type de cinéma, mais c'est comme cela que cela aurait du être montré dès le départ.


Or ils n'ont clairement pas annoncé la couleur. La "réhabilitation" de cette pauvre nana qui n'aura fait du porno que 17 jours dans sa vie, aurait du être plus franche, au lieu de la jouer "film fun sur le porno". Une contre-pied pas très fin, d'autant qu'ils se payent le luxe d'y aller avec une grosse louche de culpabilisation en fin de film... Car l'histoire de Linda n'est pas originale. Les maris-proxénètes violents, les producteurs manipulateurs, les problèmes familiaux lourds sont autant de facteurs qui expliquent le choix de carrière de ces malheureuses.


On me dira que c'est volontaire, que ce revirement de ton est mis en place pour mettre mal à l'aise le spectateur et lui faire prendre conscience du sort des filles perdues qui participent moins à une oeuvre d'art libertaire expérimentale qu'à un réseau de prostitution filmé. Peut-être, mais j'ai surtout l'impression que c'était à des fins commerciales, pour faciliter les entrées. Ils se sont dit que personne n'irait voir un film où une gentille fille descend dans l'enfer du porno contre son gré et voit sa vie de femme et sa dignité ruinées.


Boogie nights, pour y revenir puisque c'est un film très réussi, parvient à faire un truc cohérent, drôle mais qui n'élude pas pour autant l'aspect inhumain du milieu. Bref cela traduit un réel manque de psychologie de la part du metteur en scène et un appât du gain particulièrement mal venu au regard de la teneur du projet et du message final.

Negreanu
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le 22 déc. 2019

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