Mank
6.3
Mank

Film de David Fincher (2020)

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Que David Fincher soit l'un des très, très rares grands metteurs en scène - je veux dire dont on peut parier qu'il passera à la postérité - ayant émergé au cours des deux dernières décennies de "l'entertainment system" hollywoodien ne fait désormais aucun doute (... et que l'on ne vienne pas me parler de Nolan, por favor !). Et ce "Mank", production Netflix de prestige - comme il n'y en a pas assez, on est bien d'accord -, taillée pour les Oscars, est une sorte de consécration officielle, paradoxale mais indéniable, de l'entrée officielle de Fincher dans le cercle restreint des super-auteurs. Prochaine étape, post-Covid19 bien entendu, une récompenses cannoise !


On regardera donc "Mank" sous cet angle du cinéma d'auteur, d'un cinéma qui a beaucoup de choses à dire : sur lui-même (encore un film sur le Cinéma, qui le fait, comment on le fait, un sujet que tout réalisateur qui se respecte se doit désormais d'avoir traité), sur son auteur donc (scénario écrit par Jack Fincher, le papa de David, révolte contre le système hollywoodien qui le rejette, et hypothèse d'un "cinéma projeté dans les rues" pas si loin des ambitions de Netflix...), mais aussi sur le monde actuel (on y voit la collusion d'Hollywood avec le magnat de la presse, W. R.Hearst, et la fabrication des premières "Fake News", chères à Trump, pour stopper l'ascension d'un candidat démocrate)... Trop de chose à dire sans doute pour ses deux heures et quart, ce qui fait que le discours envahit trop le film pour qu'il puisse respirer harmonieusement.


Après un démarrage à marche forcée (Fincher s'essaie avec brio au "walk & talk" sorkinien !), on a régulièrement le sentiment que "Mank" se perd entre tous ses sujets, d'où le risque indéniable que le spectateur peu attentif "décroche" devant un film qui lui laisse peu de place, au sein d'un système au brio indéniable, mais presque totalitaire. On me rétorquera, à juste titre, que c'est aussi la marque des vrais "grands auteurs" que de construire ce genre de monde pas forcément accueillant pour les spectateurs : il est vrai que j'ai pu penser par instants, dans un genre pourtant absolument différent, au travail d'un Fellini au sommet de son Art.


Heureusement, heureusement, "Mank", s'il n'est pas tout-à-fait le chef d'œuvre qu'l aurait pu être, est aussi un film magnifique, qui réservera de grandes extases "esthétiques" à quiconque ne le regarde pas comme objet de divertissement : une image prodigieuse - utilisant les dernières technologies pour recréer des années 30 encore plus fascinantes que dans les films de l'époque -, une interprétation superlative (le formidable Gary Oldman, mais aussi tout le reste du casting, avec une surprenante Amanda Seyfried et un impérial Charles Dance, pour l'une des scènes les plus fortes du film, celle de la parabole de "l'organ grinder monkey"), et bien entendu un sentiment excitant d'intelligence en action...


On pourrait même parler à propos de "Mank" de "nostalgie de l'intelligence", tant on se surprend en le regardant à se répéter combien nous avons régressés par rapport à cette époque... Avant de réaliser, et c'est bien là aussi l'un des sujets du film, que les riches et puissants si brillants, que nous admirons ici, sont aussi ceux qui minimisèrent complètement la montée d'Hitler en Europe et les risques de basculement de leur monde doré : plus préoccupés par les "socialistes" à leur porte, et par la préservation de leurs privilèges face aux "masses populaires", ils auront été clairement les complices du fascisme qui venait.


Cerise sur le gâteau pour les cinéphiles, "Mank" nous apprend pas mal de choses sur "Citizen Kane", alors que, à notre grande honte, nous avions toujours regardé ce film mythique comme l'œuvre du seul Welles, une affirmation bien entendu confortée par l'arrogance bien connue du fameux génie : il est donc juste de remettre à la place qu'il mérite Herman Mankiewicz, scénariste d'exception aujourd'hui relativement oublié.


Même si ce n'était "que" pour ça, "Mank" serait déjà un film incontournable.


[Critique écrite en 2020]

EricDebarnot
8
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le 11 déc. 2020

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Eric BBYoda

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