--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au quatrième épisode de la septième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :

https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163

Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :

https://www.senscritique.com/liste/les_petites_sirenes/3094904?page=1

Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---

Nous avons essuyé notre premier gros temps. Pas à proprement parler une tempête, mais suffisamment de remous pour que le souvenir des terribles scènes en mer du film de la veille conduise chacun d'entre nous à considérer quels étaient ceux de nos bagages suffisamment dispensable pour être passés par dessus bord, et éventuellement ceux de notre équipage suffisamment corpulents pour justifier leur sacrifice pour le bien de la communauté. Monstres terrifiants sur la terre ferme, nous redevenons des enfants chétifs lorsque rien ne nous sépare plus de la noyade que quelques planches de bois. Nous étions suffisamment loin de toute terre connue pour que même les moins mortels d'entre nous n'apprécient l'idée d'un retour à la nage. Les marins ont répondus à nos regards affolés par des sourires goguenards, et les plus orgueilleux d'entre nous on répondu par quelques babines retroussées. Pour réunifier cette communauté fragile, et exploiter la terreur mourant lentement dans les esprits de mes compagnons à mesure que la mer retrouvait sa sérénité, j'insistai pour que nous regardions tous ensemble le prochain film du cycle. Cela tombait bien, puisqu'il était le premier à vouloir montrer quelques harmonies d'épouvante. Sur un pont encore humide de la morsure des vagues les plus virulentes, et le son crachotant des enceintes que nous avions embarquées tentant de lutter contre le violent claquement des voiles du navire, nous nous sommes serrés les uns contre les autres pour découvrir Night Tide.


L'expérience a montré que mes choix de films sont toujours aléatoires, et souvent inappropriés, ainsi j'étais ravie de découvrir que pour une fois, j'avais visé juste. Dans un noir et blanc à l'encre de chine, le film nous propose une romance envoûtante, dans un décor fantasmagorique, et un rythme éthéré. Nous ne sommes qu'en 1961, aussi le sexisme nous poursuivra encore pendant quelques films, et nous ne pûmes nous empêcher (les sorcières en tête de proue du mouvement bien sûr) de manifester bruyamment notre désapprobation de la « méthode de séduction » du personnage masculin (en fait c'est du harcèlement. Elle cède par lassitude. Aucune histoire d'amour saine ne peut naître d'une origine aussi obscène). Passé cette approche malaisante, tout devient douceur enlacée d'effroi. Même avant d'ailleurs, car pendant que Joe le relou continue de penser que la fille est suffisamment bête pour ne pas avoir remarqué qu'elle lui plaît, et multiplie inlassablement ses avances peu subtiles sans remarque que c'est lui l'idiot qui n'a pas su remarquer qu'elle lui avait déjà fait comprendre qu'elle n'était pas intéressée, le décor autour est un club intimiste jouant un jazz envoûtant qui hypnotise la jeune fille, avant qu'elle ne soit tirée brutalement de sa rêverie par la sorcière au port royal qui vient l'incendier en grec ancien (est-il utile de préciser que le film a l'élégance de ne pas sous-titrer ce dialogue, son contenu ayant moins de valeur que sa forme, et nous permettant, Ô tristesse, de partager la déroutante incompréhension du personnage masculin ? Du coup peut-être qu'elle lui dit "j'aime manger des tartes à la fraise", mais en tout cas ça glace le sang). Tout ensuite continue de suivre ce schéma, nous laissant continuellement dans le doute quant à juger décors, personnages et événements entre angélique ou démoniaque. De ce manège de bois à la ritournelle entêtante, à cette voyante enjouée, lisant le malheur dans les cartes de tarot, sans oublier évidemment cette femme-sirène, mi-jeune fille drôle et enthousiaste, mi-créature marine ténébreuse et malveillante. Les scènes de rêve, évidemment, se font l'apothéose d'un style et d'une narration originale et sublime, venant additionner aux noirs sans fonds des effets optiques évoquant à la fois l'irréel et le sous-marin. Brillant.

Quant à la forme de la sirène je ne peux m'empêcher de relever une notable avancée, ainsi qu'un problème récurent. Notable avancée oui car, pour la première fois, notre sirène a le son et l'image, champagne ! Elle ne chante pas par contre, mais la musique dans le film est suffisamment pensée et réfléchir pour nous laisser supposer que son auteur a consciemment transposé le chant de la sirène à son entourage. J'irai même jusqu'à penser que c'est sa présence qui rend la musique autour d'elle si enchanteresse, comme si ce pouvoir n'était pas quelque chose qu'elle possède, mais quelque chose qu'elle peut transmettre à ce qui l'avoisine. Peut-être mon enthousiasme débordant pour le film me rend-il un peu de mauvaise foi et prompt à verser dans la sur-interprétation, n'empêche que je trouve cette idée folle d'intelligence. Autre grosse démonstration d'intelligence également, dès le troisième film, le scénario s'auto-réfléchit sur la question de réalité et de légende. Déguisant sa supposée sirène en fausse vraie-sirène dans un parc d'attraction, le film brouille les pistes, pour son personnage, mais surtout pour son spectateur, entre fiction et réalité. Certes l'absence cette année des volets Universal Monsters et Hammer nous ont fait avancer jusqu'en 1961 dès le troisième film, n'empêche que même en prenant en considération ce démarrage en quatrième vitesse, l'idée est précoce. Enfin, et certainement pas le plus anecdotique des éléments, notre sirène n'est plus là que pour être jolie. Si sa version humaine réponds à tous les canons de beauté est est réellement une créature enivrante de beauté, sa version sirène quant à elle reste un monstre étrange. La notion de sirène n'est aucunement et ne désire nullement apporter d'émerveillement, et reste délicieusement dans le mystique. Notre personnage est donc, malgré une certaine revisite du mythe (allez, je pardonne même cet emprunt de l'influence de la pleine lune que le film fait aux histoires de lycanthropies), exactement ce qu'est une sirène : une créature dangereuse prenant un apparence aguicheuse pour attirer les hommes dans leur piège mortel. Prends ça, Joe le relou.

Mais je parlais d'un problème récurrent et il me faut l'aborder. Les films, tous les films, s'obstine à devoir préciser qu'ils ne croient pas aux sirènes. Depuis Georges Méliès qui, d'après ce que j'ai compris de son scénario capillotracté, nous explique en fin de métrage que celle qu'il s'est pris à imaginer en sirène n'est en réalité qu'une jolie femme, humaine, normale, tout le monde a continué de s’évertuer à préciser : « nan mais par contre en vrai, faut pas déconner, les sirène ça existe pas vraiment ». Mr. Peabody avait inventé la sienne pour l'aider à surmonter sa crise de la cinquantaine, et ce soir, c'est le père adoptif de la demoiselle qui lui a fait croire à toute ses sornettes pour pouvoir la garder près d'elle. Finalement, il n'y a que Peter Pan qui s'est autorisé à croire aux sirènes. Même Ulysse nous précisait en fin de métrage que l'immortalité qu'il a refusée d'une déesse lui aura finalement été accordée par le poëte Homère, laissant supposer que tout ceci n'a qu'été enjolivé par ce doux rêveur. Jamais aucun Dracula ou Nosferatu ne s'est pourtant senti obligé de préciser à la fin du film qu'il ne faut pas croire tout ce que Bram Stoker à écrit, ou ne s'est targué d'une leçon sur la notion de vampirisme clinique. Alors qu'est-ce qui se passe avec les sirènes ? Pourquoi est-ce que leur légende gêne tous les auteurs qui s'y attaquent, pourquoi ceux-ci empêchent-ils leurs films de relever du genre du fantastique, les rattachant in extremis, dans les dix dernières minutes du film, par une explication plus ou moins solide, à la réalité ? Mon hypothèse pour le moment est que la sirène tient beaucoup de la licorne. Ce sont des créatures si merveilleuses qu'elles en sont presque des caricatures du merveilleux. Et les sirènes d'ailleurs ont du atteindre ce stade bien plus tôt que les licornes, car déjà à la naissance du cinéma visiblement, elles avaient ce statut. Étant des caricatures du merveilleux, on ne peut plus faire sérieusement un film de sirène, qu'il soit d'aventure ou de romance, fantastique ou horrifique. Et finalement, si on veut donner de la crédibilité à son film, il faut le retirer du monde de l'imaginaire, et tenter de donner une explication rationnel à la présence de sirènes dans un monde qui est bel et bien le nôtre dans lequel, évidemment, il n'y a pas de sirènes. Évidemment ? Vraiment ?




Zalya
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste The Little Mermaids

Créée

le 14 oct. 2023

Critique lue 7 fois

Zalya

Écrit par

Critique lue 7 fois

D'autres avis sur Marée nocturne

Marée nocturne
Moizi
6

Critique de Marée nocturne par Moizi

Présenté en version restaurée sur Mubi par Nicolas Winding Refn, Marée nocturne fait donc partie de ces séries B que Refn veut mettre en avant avec son service de VOD et encore une fois la qualité...

le 5 mai 2018

2 j'aime

Marée nocturne
Zalya
8

Journal de bord - Jour 4

--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au...

le 14 oct. 2023

Du même critique

Whiplash
Zalya
9

Critique de Whiplash par Zalya

Me voila encore une fois obligée de saluer le travail du chef-opérateur, pour sa réflexion sur les cadres, avant le tournage, et le soin apporté à ceux-ci, pendant. Évidemment, bande son formidable,...

le 29 févr. 2016

4 j'aime

Les Ensorceleuses
Zalya
6

Chasse aux Sorcières – Jour 16

--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au...

le 10 nov. 2020

3 j'aime

Les Derniers Jours de Pompéi
Zalya
7

Fast critique

Parlons peu, parlons bien : -Oui, le scénario est ultra-convenu et cousu de fil blanc. -Oui, les acteurs sont catastrophiques et dans le sur-jeu en permanence. -Oui, toutes les autres critiques qu'on...

le 18 janv. 2017

3 j'aime