Marfa Girl
6.2
Marfa Girl

Film de Larry Clark (2012)

On va essayer de noter le film indépendamment de trois critères qui le rendent peut-être plus sympathique qu'il ne l'est réellement : un, il a remporté le Marc Aurèle d'or au festival de Rome, deux, il est distribué uniquement sur internet, ce qui pour un réalisateur aussi connu est une première, trois, son héroïne, Drake Burnette, a tout pour devenir une nouvelle égérie du cinéma indépendant US – en espérant qu'elle ne finisse pas trop sur des affiches jaunes. C'est d'ailleurs une autre qualité de Marfa Girl que de ne pas avoir d'affiche jaune, lorsque sur internet on découvre une image représentant deux ados, la fille du titre en étant absente sans qu'on le sache. A voir cette image, à voir l'extrait diffusé en guise de bande-annonce où prédomine un mysticisme qui n'a jamais été la marque de fabrique de Clark, on se demande en fait ce qu'on va regarder, si le cinéaste ne serait pas un peu devenu gâteux à en appeler aux mystères de l'esprit alors que chez lui, en photo ou en film, tout n'est généralement qu'histoire de corps. Qu'on se rassure pourtant : Marfa Girl est charnel, on y baise un peu dans tous les coins, parfois sous la contrainte, le film n'est pas dépourvu des séquences choc qui font ordinairement le sel des travaux de Clark (qui pourraient d'ailleurs avoir compromis sa sortie en salles) et en cela, laissera ses fans en terrain connu.

Terrain connu mais pas inintéressant puisque le réalisateur, s'il reste dans son registre, semble quelque part s'être assagi pour toucher à quelque chose de plus essentiel. A l'image de ce personnage mystique le film tend vers une certaine abstraction, resserré dans un village paumé autour d'un petit nombre de personnages aux caractères parfois archétypaux. Contrairement aux adolescents de Bully ou à la communauté de Visalia dépeinte dans Ken Park, les jeunes ne sont pas, à Marfa, des victimes ou des exclus ; ils vivent même dans une harmonie certaine avec les adultes, souvent bienveillants malgré les écarts de leurs fils, de leurs élèves, qu'ils considèrent avec une nostalgie attendrie. Venant de Clark on pourrait presque croire à de la mièvrerie, mais le cinéaste évite cet écueil grâce à deux personnages. La Marfa Girl du titre d'abord, fille solaire qui vit par l'art et le sexe, que la caméra capture avec une grâce surprenante : c'est à vrai dire l'un des tout premiers personnages entièrement lumineux de Clark, qui permet au film de baigner dans une chaleur réconfortante et – c'est le plus important – naturelle. Cette fille agit comme un symbole d'amour assez touchant et naïf, une idéalisation de la femme autant qu'une représentation permanente du plaisir qui réussit à éviter toute forme de racolage pour toucher à une poésie brute ; sont exclues de ses scènes comme d'elle-même la perversion et la névrose. Celles-ci se retrouvent alors dans un autre personnage, jeune policier en proie à des pulsions incontrôlées, à la sexualité trouble, qui par son autorité s'immisce dans les foyers tranquilles et répand un doute, un malaise. Pas trop, ce qu'il faut pour faire planer une étrange brume à certains instants, jusqu'à ce que le film mette un doigt sur sa folie et qu'il le condamne. Cet élément perturbé et perturbateur, seule menace à l'harmonie sexuelle et humaine qui règne à Marfa, se débat, souffre et fait souffrir jusqu'au point de non-retour. On retrouve l'un des thèmes chers à Clark, la traduction des névroses dans la sexualité, ici traitée de manière un peu plus percutante car concentrée dans un seul personnage, malade mais attachant, qui ne parviendra pas à la rédemption.

Les deux personnages de l'affiche sortent du cadre, finalement ; Clark montre en peu de séquences, mais avec efficacité, l'impasse dans laquelle se trouve l'homme névrosé, définitivement condamné à errer en marge des autres. D'une certaine manière il est l'un des enfants de Visalia qui a grandi, et qui meurt de son incapacité à aimer et à être aimé. En ce sens, Marfa Girl, derrière son espoir de façade brillamment filmé et interprété, s'offre un second niveau de lecture, sorte de suite non-dite aux premiers films du cinéaste qui montre autant la joie de l'amour que la souffrance de ne pas en être. On pourrait considérer ce métrage comme une clôture à une trilogie entamée avec Bully et poursuivie avec Ken Park, une sorte de passade intergénérationnelle où les enfants d'hier sont les fous d'aujourd'hui. Clark, derrière son style brut et parfois dur, cette manière très franche de filmer, n'est pas homme à tourner autour du pot ; avec Marfa Girl, plus que jamais il semble croire à un avenir meilleur pour cette jeunesse qui le passionne, et plus que jamais aussi il s'angoisse pour elle, préférant l'image d'un pénis en érection ou celle d'un vagin ravagé par la maladie pour raconter l'amour ou la déviance. Le sexe est encore le point de départ et le point d'arrivée : plus démonstratif qu'un manuel de psychologie ou que certaines diatribes hanekiennes, c'est par celui-ci que l'homme se forme et qu'il vit, et c'est par celui-ci qu'il s'accomplira ou se perdra. Un point de vue qui n'a rien perdu de sa force, que le cinéaste parvient toujours à capturer et à retranscrire avec une spontanéité terrible. Marfa Girl, quelque part, est un peu le film de la maturité : admettre que le bonheur existe et puisse survivre aux tempêtes, admettre aussi que sa quête puisse tuer, que le soleil puisse réchauffer et brûler tout à la fois, celui de Marfa comme celui qui habite le coeur de cette fille avide d'amour et de peinture, cette fille auprès de laquelle les hommes viennent baiser et se confier, parfois au prix (terrible) de s'abîmer dans le gouffre qui sépare l'autre de soi.
boulingrin87
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le 26 nov. 2012

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