La démarche de Joshua Marston qui consiste à donner la parole à ces mules qui, sans avoir conscience de l’artichaut qu’elles construisent en assumant la fonction ingrate de ses premières feuilles, sont les premières à trinquer quand les douaniers les interpellent en plein aéroport, est louable, même courageuse. Mais en oubliant de prendre partie, en illustrant, de façon trop mécanique, le marathon que subissent ces victimes d’une machine dont elles ne comprennent pas les rouages ; pire, en évitant, avec précaution, de poser un regard trop critique sur ce qu’il filme, le cinéaste finit par rendre inexpressif un sujet qui avait pourtant un fort potentiel émotionnel.

Pour preuve, toute la partie dans l’avion, qui est le seul moment vraiment marquant du film, parce qu’il n’y est plus question de construire, mais simplement de restituer, de façon presque journalistique, l’horreur de la situation. Le point de vue y est simplifié à l’extrême, à savoir celui de ces 4 femmes, et plus précisément trois d’entre elles, qui jouent leur avenir aux dés dans une boite métallique dont elles ne peuvent plus s’échapper. Il n’est plus question d’expliquer quoique ce soit, les personnages forment une seule et même entité : des victimes prises au piège. Le film, à ce moment précis, fonctionne à plein tube, la démonstration est efficace, l’indignation est à son comble quand la pauvre Maria passe deux capsules qu’elle a manqué de perdre sous un jet d’eau avant de les ingurgiter à nouveau avec un peu de dentifrice.

Mais dès lors que les personnages tentent de grandir, l’intérêt retombe. Que ce soit pendant la première demi-heure qui présente Maria à coup de clichés bien sentis, comme une rebelle au cœur capricieux, ou lors de sa découverte maladroite d’un american way of life incarné par deux dealers dont elle s’étonne leur manque de civisme, au point de leur faire la leçon après s’être taillée avec leur dope, l’écriture devient chaotique au possible ! Comme si les idées avaient été présentes à un moment donné, mais qu’elles n’avaient trouvé moyen de s’exprimer.

C’est bien dommage parce qu’il ne manquait pas grand-chose à Maria pleine de grâce pour assumer l’intéressant symbolisme qui en avait fait la promotion. Impossible de ne pas penser à cette affiche, qui montrait Catalina Sandino Moreno en position de communion, une capsule de drogue lui étant présentée en guise d’ostie. Le message était fort, et laissait présager d’un engagement personnel tout autre. Mais le parallèle entre la jeune Maria et la figure christique qu’elle est censée représenter s’arrête à son prénom et quelques passages au symbolisme très forcé, comme cette fin irréelle au possible où, en pleine lumière, elle décide d’investir les USA au lieu de retourner dans son pays pour un nouveau tour de montagne russe.

Si l’intention était bien là, que la nécessité du film est indiscutable et que le message passe tout de même, on peut néanmoins reprocher à Maria pleine de grâce sa mise en œuvre uniquement fonctionnelle, que ce soit sur un plan formel ou narratif, et en sortir un peu déçu.
oso
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le 20 oct. 2014

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