Au rayon des anecdotes « souvenirs de salle » celle-ci est fondamentale. Une tripotée de branleurs, dans la rangée derrière la nôtre, avaient perturbé notre séance à raison de téléphones qui sonnent, concert de mastication de popcorn à te filer la gerbe, moqueries en tout genre, coups de pieds dans les sièges. Quand on se retournait, chacun faisait mine d’être happé par le film, feintant de ne pas croiser nos regards noirs et mines désespérées. En fin de séance, l’un d’eux avait lâché grassement « C’est un bon gros film de merde ». On avait trouvé un point d’accord. En le revoyant deux/trois ans plus tard dans des conditions nettement plus optimales – moins le plaisir d’une salle de cinéma – j’avais pu constater d’une part ne pas avoir vu le même film du tout puisque c’est une merveille, d’autre part que je suis ravi de ne plus fréquenter ces grands complexes où se réunit tout le gratin de la beaufitude. Depuis, j’ai (re)revu Marie Antoinette deux fois, ce visionnage compris. Je continue de penser que c’est le plus beau film de Sofia Coppola.


 Il faut dire que le film part de loin, pour raconter ce qu’il veut raconter : la jeunesse dorée retirée brutalement de son ilot d’inconscience et d’insouciance, la solitude face aux pressions du monde, la mélancolie d’une adolescente moderne, espiègle et rêveuse. Oui on est au XVIIIe siècle et pourtant oui, c’est un film incroyablement moderne, un digne prolongement de Virgin suicides et Lost in Translation. La jeune autrichienne est une cousine de Lux et Charlotte. Si le film ne lésine pas à mettre en scène la grandeur absurde de ce monde, il ne joue pas la carte de la virtuosité glaciale viscontienne. Au contraire, s’en dégage une vraie chaleur, une saturation magnifique, de couleurs, de mouvement, qui évoque davantage L’arche russe que Barry Lyndon. Dans les extérieurs le film trouve encore autre chose, un filmage à la Malick succède à de purs tableaux de Renoir. Kirsten Dunst se perd dans ce décor trop grand et se trouve un rôle à mesure de sa mystérieuse présence, qui culminera chez Von Trier plus tard, dans Melancholia.
Afin que le film fonctionne autant comme un récit d’introspection qu’en tant que biopic, il faut que Versailles existe. Le film de Coppola est d’ailleurs moins l’histoire de Marie-Antoinette d’Autriche que de Marie-Antoinette au château. Et Versailles y est filmée sous toutes ses coutures, dedans comme dehors. On a l’impression d’y être, normal puisqu’on y est. Si certaines scènes et pour des raisons pratiques sont reconstituées en studio (la chambre de la reine notamment) ou tournées dans d’autres châteaux de la région, la plupart du tournage s’effectue à Versailles même. Le risque du film trop respectueux voire poussiéreux guettait. Comment raconter un lieu si imposant et une destinée si connue des manuels scolaires ? Idée de génie que de le dénaturer de la sorte. C’est en insufflant sa dimension pop que Sofia Coppola va dégoter ses meilleures inspirations, complètement à contre-courant du biopic académique tant elle manipule avec brio l’anachronisme, discret le temps d’une apparition de converse au sein d’une paire de chaussures, joliment ostentatoire dans son utilisation musicale. On peut donc y entendre du Radio Dept., New Order, The Cure, Bow Wow Wow et ça se fond miraculeusement dans cet ensemble tant ces morceaux captent l’adolescence du personnage, sa douce folie « new wave » et sa tenace mélancolie « punk/shoegaze ».
JanosValuska
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le 30 déc. 2017

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