La vie conjugale, des opinions contraires à la morale reçue

• Richard, je crois que je vais quitter Pat. Il fallait que je te le dise, que je te mette au courant.


• Pourquoi diable la quitter ? Qu'est-ce qui te prend ?


• Parce que, j'estime que moi aussi j'ai droit au bonheur.


• C'est tout à fait raisonnable.


• Je suis tout ce qu'il y a de plus raisonnable.


• Je vois. Comment s'appelle-t-elle ? Écoute. Il y a des années que je vous connais et vous formez un ménage uni qui a l'air plutôt heureux. Parmi tous les ménages que je connais, c'est le vôtre qui me paraît le plus solide. Vous êtes un couple exemplaire.


• Elle s'appelle Kay. Kay Nesbitt.


• Pour Pat, ça va être très dur.


• Je sais. J'ai essayé de lui dire mais je n'ai pas pu. Tu me connais. Tu sais que je n'aime pas voir souffrir les gens que j'aime.


• Rien ne t'interdit de garder Kay, si tu en as envie. Ce serait ta... Confidente. Le temps de voir si ça marche.


• Tu veux dire que Kay serait ma maîtresse.

Married Life est un savoureux cocktail de manipulation sentimentale passionnée et d'amour criminel, mêlé de suspense et d'humour noir réalisé par Ira Sachs qui nous livre une oeuvre imprégnée des vieux polars noirs dans une conduite à la Woody Allen. Une oeuvre subtilement conçue et magnifiquement écrite se présentant comme une pièce de théâtre noire à la fois traditionnelle, moderne et novatrice. Il est question du couple, de ce qu'il présente en surface, à une époque où le bien paraître est déterminant, et de ce qui se trouve en dessous. Derrière les apparences soignées et remarquables tirées sous tous les angles pour dégager la perfection se masque une complexité humaine qui dévoile les plus sombres pensées de chacun. Un sujet qui sera repris un an plus tard avec le film "Les Noces rebelles" de Sam Mendes avec Kate Winslet et Leonardo Dicaprio, qui présentera le concept sous une forme plus réaliste. Ici, Ira Sachs joue habilement du dramatisme, du suspense, ainsi que d'un humour très fin pour prendre à contre-pied les attentes du spectateur et l'entraîner dans une histoire paradoxale, singulière et inattendue.

Les personnages sont remarquables ! Présentés dans un premier temps comme des archétypes de leur époque bien sous tous rapports, chacun des quatre se dévoile peu à peu à travers une transition psychologique qui approfondit leur humanité et par là même l'assombrit. Des hommes et des femmes qui présentent des défauts et des imperfections humaines, qui commettent un ensemble de mauvaises décisions dues à un amour excessif porté à l'image de soi et aux propres intérêts, au mépris des intérêts des autres. Un manque de clairvoyance et de lucidité qui sera à l'origine d'un acte extrême. Un splendide portrait de l'aberration humaine. L'égoïsme et le narcissisme dans toute sa splendeur. Pour autant, on éprouve de l'empathie pour chacun des protagonistes ce qui prouve l'intelligence et la subtilité du scénario.

Les quatre personnages sont incarnés par un quatuor de comédiens remarquables avec en tête le génial Pierce Brosnan qui sous les traits de Richard Langley offre une performance géniale. Avec l'élégance qui lui est propre, le comédien, que l'on entend également en voix off, rend parfaitement la réplique à l'acteur Chris Cooper dans le rôle d'Harry Allen. Chris Cooper qui tente maladroitement d'assassiner son épouse qu'il aime encore et qui sera à l'origine de plusieurs séquences cocasses et abracadabrantes, toujours avec une retenue propre à la mentalité de l'époque. Patricia Clarkson est d'une justesse incroyable en tant que Pat Allen, incarnant la femme amoureuse de son époux dans toute sa perfection. La séquence où Pierce Brosnan la découvre sous son vrai jour en plein acte sexuel avec un autre homme que son mari est hilarante. Rachel McAdams incarne Kay Nesbitt la belle femme fragile (à ne pas sous-estimer) à l'origine de la stupidité des deux hommes que sont Pierce Brosnan et Chris Cooper. Les aspirations de Richard, Harry, Pat et Kay sont d'une justesse étonnamment poignante, étant incapables de contrôler leurs pulsions les plus primaires malgré l'amour qu'ils partagent tous entre eux, décrivant à la perfection l'imperfection qui nous caractérise tous.

Le rendu physique est magnifique. La réalisation d'Ira Sachs fourmille de petits détails allant des décors jusqu'aux costumes qui favorisent l'imprégnation d'une époque aujourd'hui révolue. La mise en scène est sensationnelle. Avec soin, le cinéaste façonne l'image en organisant son contraste pour mieux aménager les différentes scènes pourvues d'un style suranné mélangé à un esprit gai et enjolivé. L'animation du générique d'introduction du film créée par Llya Abulhanov, apporte un formidable concept de départ qui imprègne d'emblée de jeu le ton et le contexte du récit à venir. La musique de Dickon Hinchliffe est somptueuse et ironique, fonctionnant habilement avec le récit. Il existe 3 fins alternatives qui se ressemblent beaucoup entre elles mais offrent une fin totalement différente à celle du film. La première (et plus longue) fin alternative, qui faillit être choisie, est de loin la meilleure. Quel dommage que le cinéaste n'ait pas choisi cette fin qui aurait apporté une conclusion époustouflante (qui m'aurait clairement fait monter ma note). La fin originale est très bien dans une mouvance happy end à regret, alors que l'autre est beaucoup plus pessimiste et ironique.

CONCLUSION :

Married Life de Ira Sachs s'illustre à merveille via un mélange d'humour fin et de pathétique à travers une ambiance noire où le suspense ne cesse de nous captiver. Un film complexe qui vise très juste en présentant les dessous de la vie conjugale dans une mouvance très humaine où tout n'est que façade. Les performances des quatre comédiens sont de premier ordre avec en tête Pierce Brosnan qui une fois encore vise juste.

Ni trop noir, ni trop blanc, d'une justesse étonnante.