le 12 déc. 2023
La fronde après nous
La science-fiction est finalement assez rare dans le superbe et varié paysage de l’animation française ; Mars Express vient y remédier, dans un récit dystopique de colonisation de mars, où la société...
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Dans Mars Express, Jérémie Périn imagine un futur qui ressemble à une impasse. En effet l'humanité est divisée et seule l’élite a pu fuir une Terre exsangue pour se réfugier sur Mars, laissant derrière elle une planète à l’abandon, peuplée de déclassés et de bâtiments détériorés. Sur la planète rouge, le progrès technologique a remplacé les idéaux. C'est le confort, la surveillance et l’illusion de liberté qui ont pris la place du rêve de conquête. L’œuvre emprunte au genre du film noir sa rigueur et son désenchantement et au cyberpunk son décor froid, artificiel, tentaculaire et saturé de données. Entre les deux genres, Périn tisse un récit tendu, à la fois précis et mélancolique.
L’enquête d’Aline Ruby, détective privée, et de son partenaire androïde Carlos Rivera débute comme un polar classique. Il s'agit de partir à la recherche d’une étudiante accessoirement hackeuse disparue, une recherche qui va s’élargir quelque peu vers une méditation sur la conscience et la mémoire. En effet à mesure que l’enquête progresse, le film va glisser du thriller vers quelque chose qui nous propose une réflexion plus vertigineuse et qui pose des questions inhérentes au cyberpunk. Qu’est-ce qui définit un être humain dans un monde où la mort n'est plus une finalité puisque le corps et la mémoire sont devenus des données transférables ? Comme dans Blade Runner, le polar sert ici de prisme pour questionner le statut de l’humain dans un système qui l’a totalement dépassé et englouti.
Noctis, la capitale martienne, symbolise cette illusion de perfection. C'est une ville propre, géométrique, baignée de lumière artificielle, où la rationalité technologique a remplacé la vitalité organique. Sous ses tours de verre et son ciel factice s’étend un monde souterrain, grouillant et chaotique, où s’accumulent les rebuts d’un progrès qui se veut pur. Cette opposition entre la surface et les profondeurs, entre l’ordre et le désordre, entre la chair et le métal structure tout le film. Mars apparaît comme un double de la Terre, débarrassée de ses pauvres mais pas de ses contradictions. C'est une société close qui est fondée sur la peur de régresser et qui est tout bonnement incapable de redonner un sens à son existence.
Le film explore également les rapports de force politiques et économiques qui structurent la colonie martienne. La mégacorporation Royjacker, moteur principal de toute cette infrastructure, incarne le capitalisme technologique à son paroxysme. Son projet de remplacer les robots par des Organiques en se débarrassant des premiers n’est absolument pas une progression scientifique puisque cela obéit à une logique de marché. Le but est de pousser et de forcer les consommateurs à acquérir les nouveaux modèles. Même si cela n'est pas explicité il y a aussi certainement une volonté de contrôle et de domination derrière la manœuvre. Les robots bien que soumis sont encore trop libres pour la mégacorporation. Ils sont notamment sensibles au déplombage, voir au takeover dans un cas extrême, ce qui altère du tout au tout leur comportement et leur obéissance. La symbolique de l'Organique est claire et le but est donc de réduire l’autonomie des individus en transformant la vie elle-même en marchandise. Cette politique de substitution révèle la fragilité des systèmes sociaux dans lesquels la technologie n’est plus au service de l’humain mais de la légitimation du pouvoir. Le réalisateur souligne ainsi que derrière le vernis de la perfection martienne, le conflit politique reste viscéral . Il oppose ceux qui subissent le système à ceux qui le contrôlent et montre que le futur peut être à la fois élégant et profondément injuste, comme une exacerbation de notre société actuelle.
La mise en scène épouse cette froideur maîtrisée. L’animation est fluide et rigoureuse. Elle refuse la surenchère, tout est cadré, clair, contrôlé. Les séquences d’action qui sont rares et précises s’inscrivent dans un réalisme tendu, presque clinique. Périn préfère la lisibilité à l’excès ainsi que la suggestion au spectaculaire. Cette retenue formelle donne au film une densité mais aussi une certaine distance. Tout semble fonctionner mais à l’intérieur d’un système qui est fermé, où plus rien ne déborde.
Sous cette surface maîtrisée, Mars Express parle avant tout de l’effacement de l’humain. L’oubli, la perte de repères, la désincarnation traversent chaque scène. Dans ce monde, tout peut être copié, rejoué ou restauré. Rien ne se perd sauf la vie elle-même bien sûr. L’utopie martienne se révèle pour ce qu’elle est : un simulacre, un refuge pour une élite coupée du réel où la survie est devenue une simple opération de maintenance.
Efficace, tendu et d’une rigueur exemplaire, Mars Express ne cherche pas à révolutionner le genre mais à le prolonger avec lucidité. Là où Blade Runner observait la nostalgie d’une humanité mourante, Périn filme une société déjà post-humaine, qui a cessé de se poser la question du sens. Le résultat est un film d’animation d’une grande maturité qui détonne dans la production audiovisuelle hexagonale. Un polar du futur qui n’annonce rien sinon la continuité glacée de notre présent.
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Créée
le 9 nov. 2025
Modifiée
le 9 nov. 2025
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le 12 déc. 2023
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